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Déchets plastique en mer : la pêche aux solutions
Côté pile, les plastiques apportent bien des innovations, synonymes de performances techniques, de confort et de bénéfices environnementaux, pour la plupart largement méconnus. Côté face, trop de plastiques sont abandonnés à terre et finissent dans les océans pour constituer 80% des déchets plastique marins. La lutte est engagée, et bien des solutions émergent.
Déchets plastique en mer : la pêche aux solutions
Déchets plastique en mer : la pêche aux solutions

Relever le défi du recyclage des déchets marins

Que faire de ces centaines de tonnes de déchets plastique en fin de vie glanés dans les cours d’eau, en mer ou encore sur les plages ? Il est possible de les recycler, même si cela n’a rien de simple, car ils sont la plupart du temps souillés, mélangés et dégradés. A la clé, des fabricants de vêtements et de chaussures qui ont su en faire des articles particulièrement dans l’air du temps.

Bouteilles PET et filets de pêche : un mariage pas si insolite

De nombreuses marques annoncent désormais concevoir leurs produits à partir de déchets plastique marins recyclés. Ils sont la plupart du temps fabriqués à partir de fibres issues de bouteilles PET ramassées notamment à terre ainsi que de fibres provenant de filets recyclés.

En Espagne, par exemple, les concepteurs du Seaqual utilisent un procédé de fabrication traditionnel fondé sur le recyclage mécanique. Grâce à leur partenariat avec plus de 2 500 pêcheurs (soit 450 chalutiers) répartis dans une trentaine de ports en Méditerranée, ils collectent les engins de pêche récupérés en mer ou simplement hors d’usage. Leur fil Seaqual contient environ 10% de polymères issus de filets marins, le reste étant du PET recyclé, issu le plus souvent de bouteilles ramassées à terre… avant qu’elles ne rejoignent la mer. On le retrouve principalement dans les vêtements et chaussures de la marque Ecoalf (voir nos articles…) et dans de nombreuses marques d’habillement, de chaussures, de mobilier, de décoration ou encore d’équipements automobiles.

Photo : banque d’images 

Un partenariat avec 2 500 pêcheurs de Méditerranée permet à l’entreprise espagnole Seaqual 4U de récolter les filets usagés. Ceux-ci seront ensuite recyclés en une nouvelle fibre aux propriétés quasiment identiques à celles du polyester classique.

La firme internationale Adidas, grâce à son association avec Parley for the Ocean, une organisation internationale à but non lucratif, peut se prévaloir d’avoir donné naissance à un nouveau modèle. Parley se charge de l’organisation de la collecte des plastiques en fin de vie en faisant appel à des particuliers qui sont rémunérés pour leur tâche, procurant ainsi un emploi à de nombreuses personnes vivant dans des pays en phase de développement. Ce sont majoritairement des objets ramassés sur les rivages ou encore des filets de pêche que les pêcheurs récupèrent dans les océans. Ceux-ci, une fois triés, sont transformés en nouvelles fibres dans différentes usines, dont la principale se trouve en Asie à Taiwan.

Photo : banque d’images

Il y a 5 ans, Adidas a marquait les esprits en concevant une chaussure partiellement issue de filets de pêche recyclés.

Elles produisent le Parley Ocean Plastic®, une fibre de polyester développée par Parley. A partir de ce matériau, Adidas a créé il y a 5 ans une gamme de produits spécifiques baptisée X Parley. Succès immédiat et, en 2020, 15 millions de paires de chaussures ont été fabriquées à partir de ces plastiques régénérés. La marque annonce aujourd’hui que près de 600 de ces produits intègrent des fibres issues de plastiques collectés en mer et recyclés par l’intermédiaire de l’association.

Il faut toutefois nuancer le propos car, pour le moment, la marque aux trois bandes ne produit pas encore d’articles issus à 100% de plastiques recyclés (qu’ils soient marins ou pas). C’est cependant un objectif qu’elle se fixe à très court terme, puisqu’elle espère y parvenir dès 2024. Quant aux chaussures X, elles ne sont donc que partiellement constituées de fibres issues de filets usagés. Elles composent la cage qui vient joliment garnir la tige. Clin d’œil, cette cage est tissée en reprenant les motifs des filets de pêche.

100% made in filets de pêche

Toutefois, certains proposent des articles uniquement composés de plastiques issus de filets usagés.

L’américain Bureo récupère des filets de pêche usagés en Amérique du Sud pour en faire une fibre baptisée NetPlus©. Pour parvenir à ce résultat, Bureo a mis en place des conteneurs dans différents ports de pêche sud-américains dans lesquels les pêcheurs peuvent se débarrasser de leurs filets usagés. Une fois récupérés, ils sont transformés par Bureo selon un procédé classique de recyclage mécanique.

Photo : banque d’images

Installer de grands conteneurs dans les ports destinés à la récupération de filets en fin de vie est une initiative simple et efficace qui se développe un peu partout sur la planète.

L’opération est assez fastidieuse : il faut en effet les démonter, retirer manuellement les cordages pour les trier, car ils sont le plus souvent en polyester alors que le filet est en polyamide, les contrôler visuellement quasiment maille par maille, puis les découper et les nettoyer. Ils sont ensuite broyés et transformés en granulés avant d’être extrudés pour en faire un fil qui sera à nouveau tissable. C’est ce nouveau matériau qui constitue désormais les visières de certaines casquettes de la marque Patagonia.

De l’autre côté de l’Atlantique, Fil & Lab, une jeune startup bretonne, a réussi, grâce à sa filière de revalorisation à transformer le polyamide que l’on trouve – entre autres – dans les filets de pêche en fin de vie en « un plastique performant et responsable », qu’elle a appelé Nylo.

Avant de devenir des lunettes commercialisées par le lunetier Acuitis et le fabricant de vêtements Armor Lux, ces filets de pêche ont été collectés dans une quarantaine de ports de la façade atlantique française, puis stockés dans les bennes d’un port breton. Après de longues heures de nettoyage et de démontage, ils ont été transformés, là encore grâce à un procédé classique de recyclage mécanique, en granulés de polyamide 6, prêts à l’emploi.

Econyl : les filets de pêche mettent le cap vers l’infini

L’italien Aquafil, connu dans le monde entier pour sa production de polyamide (Nylon 6), a quant à lui mis au point un programme très élaboré de régénération du Nylon contenu dans les filets de pêche usagés et abandonnés dans les océans. Pour sa production, Aquafil utilise également d’autres types de déchets de polyamide, tels que les vieux tapis, déchets textiles, etc. Grâce à un procédé de recyclage chimique par glycolyse*, les déchets vont être régénérés en une nouvelle fibre, l’Econyl, qui a les mêmes qualités que le Nylon « vierge ». Elle va pouvoir être utilisée pour la fabrication de textiles dans une boucle sans fin, ni perte de qualité. Aquafil s’est ainsi fixé pour objectif de récolter d’ici peu la totalité des vêtements conçus à partir de celle-ci afin de les recycler de nouveau. Les fibres ainsi recyclées par l’italien nécessitent, toujours selon lui, un process de fabrication moins lourd qu’à partir du procédé traditionnel qui utilise les fibres vierges. Il affirme ainsi réduire de 55% sa consommation d’énergie, d’eau et surtout ses émissions de CO2.

* Les plastiques sont constitués d’une longue chaîne de molécules (les monomères) qui se répètent. Cette chaîne est nommée polymère. La dépolymérisation est un procédé de recyclage chimique qui permet de revenir directement au monomère de base en rompant la chaîne polymérique. La glycolyse utilise le glycol comme réactif pour décomposer les polymères.

Des fils de plus en plus verts sur les podiums de défilés

Si ces nouvelles fibres durables ont dans un premier temps séduit les marques de sport et de prêt-à-porter, telles Adidas, Levi’s ou encore H&M, ce sont maintenant les maisons de luxe qui les plébiscitent. Gucci, Stella McCartney, Burberry ou encore Prada, la mode se veut éthique et privilégie ces fibres recyclées et eco-friendly pour ses collections avant-gardistes et novatrices.

Photo : banque d’images 

Nombreuses sont les marques à proposer des articles conçus à partir de polymères recyclés dont beaucoup proviennent des océans. Même les marques les plus prestigieuses sont désormais de la partie.

Stella McCartney, en collaboration avec Parley for the Oceans, propose des maillots de bain composés d’un mélange de lycra et d’un polyamide issu des filets de pêche ; Tom Ford commercialise depuis quelques mois une montre de luxe qu’il annonce produire à partir de 35 bouteilles issues de l’océan ; Gucci ou Prada en font des sacs à main.

Même engouement dans le monde de l’automobile, puisque Mercedes ou encore Jaguar Land Rover souhaitent équiper l’intérieur de leurs voitures avec le Nylon écoresponsable d’Econyl.

Les tongs pour sensibiliser et partir du bon pied

Icônes de la mode depuis les sixties, les tongs n’ont jamais quitté le devant de la scène et sont aujourd’hui victimes de leur succès. Jusqu’à les retrouver par milliers qui jonchent les côtes de l’océan Indien et les rives des grands lacs africains. L’initiative kényane Flipflopi a pour ambition de transformer ces déchets en ressources. Elle a construit un boutre – embarcation traditionnellement en bois et à la voile trapézoïdale – à partir de près de 30 000 tongs récupérées sur les plages. Elles recouvrent la coque, elle-même réalisée à partir de 7 tonnes de différents déchets plastiques ramassés sur les plages. Ce navire bariolé, nommé également Flipflopi, parcourt les côtes de l’océan Indien et vient de boucler le tour du lac Victoria, l’un des plus pollués d’Afrique. Une navigation à but pédagogique : sensibiliser les populations à la bonne gestion des déchets et ainsi promouvoir les initiatives de recyclage en montrant que les plastiques en fin de vie peuvent devenir de formidables ressources.

Pour la petite histoire, tout a commencé il y a une vingtaine d’années avec une jeune biologiste qui avait décidé de collecter ces tongs abandonnées. Ces dernières étaient confiées à des artistes locaux qui transformaient ces déchets en véritables sculptures colorées et poétiques. La jeune biologiste a fondé la société Ocean Sole qui distribue maintenant Twiga la girafe ou Kifaru le rhinocéros un peu partout dans le monde. Ce sont ces mêmes sculptures qui ont inspiré les fondateurs de Flipflopi.

 

Au Kenya, une jonque a été entièrement fabriquée à partir de polymères recyclés dont 30 000 tongs. Le Flipflopi cabote de village en village pour sensibiliser les populations à la bonne gestion des déchets.

Il y a donc toutes les raisons de garder une forme d’optimisme, car les choses avancent si l’on considère que l’humanité (ou presque) ne se préoccupe des déchets marins que depuis un peu plus de 10 ans.

Lien vers les articles de Plastics le Mag consacrés à ce sujet :
Ecoalf : le pionnier de la mode éthique garde une longueur d’avance
Baskets éco conçues
Du filet de pêche au skate
ECONYL®, un fil nylon issu des déchets plastique
Flipflopi, un bateau 100% recyclé symbole de la lutte contre les déchets plastique
De la tong à l’œuvre d’art

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