La collection plasticarium, vitrine de la création plastique
Un nouvel élan, de l'atomium à la collection plasticarium
Le nouvel Art and Design Atomium Museum inauguré récemment à Bruxelles sous l’acronyme biblique « ADAM » se présente comme une extension « hors les sphères » du monument phare de l’Expo universelle de 58. Mais plutôt qu’un « dixième atome », ce nouveau musée figure plutôt le dernier écho artistique et culturel de cet événement. Comme si, à côté du cristal de fer agrandi 165 milliards de fois, la capitale de l’Europe voulait enfin rendre hommage à l’autre ressort de sa prospérité : le plastique… Histoire de prolonger avec le Plasticarium, sa collection permanente constituée par le plasticien Belge Philippe Decelle, la performance technique de l’ingénieur par l’idéal du designer.
Quelques jours après son inauguration du musée, « Plastic Le mag » ne pouvait pas priver ses lecteurs d’une visite dans ce nouveau temple du design en compagnie de la sémiologue France Billand et de Richard Thommeret, ingénieur chimiste et professeur de Design Industriel et d’Architecture d’Intérieur… Deux guides parfaitement qualifiés pour décrypter le sens des créations réunies par l’ADAM.
Design et plastique, au coeur du miracle économique
Quand un artiste anticonformiste est obligé de reprendre l’usine de papa, généralement cela n’augure rien de bon… Sauf dans l’Italie du Miracle économique où il en fallait plus pour contrarier une vocation artistique. La meilleure preuve en est le parcours fulgurant de Cesare « Joe » Colombo qui, pressé de relancer l’affaire familiale avec son frère, explore dès 1960 les possibilités des matières plastiques… Avant de s’imposer comme le chef de file de toute une génération de designers transalpins.
Des quelques créations qu’il a signées avant sa disparition prématurée en 1971, la collection Plasticarium a retenu quelques pièces emblématiques. À commencer par la chaise Universale éditée par Kartell en 1967 qui ouvre la visite.
« Normal ! » déclare France Billand qui voit dans ce premier siège en ABS moulé par injection « le condensé de toutes les promesses des plastiques aux designers nés dans les années 30 et formés pour la plupart au Politecnico di Milano » : un siège monobloc apte à la fabrication en série, en différentes couleurs, facile à empiler puisque léger et, surtout, modulable en différentes hauteurs, selon les usages : standard, enfant ou bar…
Des matériaux bien inspirés
Il aura fallu une génération pour que le design européen réalise la mission que Walter Benjamin assignait à «l'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique» : favoriser une sensibilité individuelle apaisée contre les pulsions meurtrières de la culture totalitaire des années 30. Grâce à « Joe » et ses copains, c’est chose faite : la forme a enfin supplanté la force !
Certains le disent avec des fleurs, comme Enzo Mari et son vase Bambu, en PVC extrudé en forme de colonnes romaines tronquées qui, avec ironie, ruine définitivement les rêves de grandeur mussoliniens.
D’autres entendent séduire en confiant leur inspiration, au propre comme au figuré, à ces matières plastiques qu’on injecte, d’un souffle, dans leur moule, véritable matrice qui modèle leur empreinte à l’infini pour combler les désirs du consommateur.
Dans les artefacts « quasi parfaits » nés de ce processus, nulle traces d’assemblage ou de soudures… Aucune aspérité, non plus.
« Même lorsqu’ils sont composés de plusieurs éléments, chacun remplit son rôle sans révéler ses articulations » conclut Richard Thommeret.
L'ère des métaphores
Intellectuel organique, le designer n’est pas un mécanicien. Son goût pour la plasticité cache une véritable passion de la polyvalence à l’œuvre dans des objets sophistiqués, à vocation personnelle ou professionnelle comme le chariot-armoire Boby créé par Joe Colombo en 67… Avec ses tiroirs et rangements modulables aux rondeurs acidulés, ses roulettes, il est l’extension idéale des corps créatifs qui s’adonnent sereinement, dans les bureaux ou les labos, aux métiers de la société post-industrielle.
Magie de la plasturgie, certains objets changent de destination sans changer de forme. Il suffira par exemple, à l’épouse du fondateur d’Artemide, Emma Gismondi Schweinberger, de réduire l’échelle de son porte-parapluie Dedalo en ABS, pour le décliner en vase Dedalotto ou en porte-crayon Dedalino…
Autre avantage de la production en série, l’utilisateur peut imaginer à sa guise plusieurs meubles à construire à partir du même module. Selon ce principe, Rodolfo Bonetto, jazzman puis designer autodidacte, se joue de la partition du cercle pour proposer, selon l’humeur, d’utiliser les quatre secteurs en ABS de sa «Quattro quarti Modular Coffee Table» comme console murale ou étagère d’angle.
Les plastiques donnent du piment à la vie
L’émergence du design ne se réduit pas au refus des assemblages mécaniques fastidieux de matériaux hétérogènes. Elle est aussi un rejet de l’intérieur bourgeois, de ses ambiances balzaciennes aux teintes «rabattues», de son mobilier à la matérialité honteuse recouvert de placages opulents et vernissés…
Avec les plastiques, plus question de surfaçage ou de finition. C’est le pigment, incorporé dans la résine même, qui donne le ton. Matière et lumière se confondent avec une spontanéité qui encourage toutes les subversions. Comment ne pas succomber alors aux couleurs tonitruantes des publicités, des magazines et des bandes dessinées, désormais magnifiées par le Pop Art ?
Les couleurs franches, le rouge, le jaune, le bleu ajoutent une dimension ludique au mobilier. Pire encore, elles envahissent la table, autel du cénacle bourgeois. Dès lors, la céramique blanche, avec ou sans ses ornements, cède la place aux résines acidulées comme la mélamine citron ou tomate du service de table Heller de Lella et Massimo Vignelli.
Le blanc et le noir ne sont pas pour autant bannis des intérieurs mais, par la grâce des plastiques lisses et brillants, leur symbolique est renouvelée, hors de toute référence au deuil ou à la virginité. Gage de confort et de sérénité, ils s’effacent même parfois devant la lumière pour jouer, dans les luminaires et les objets techniques, avec la transparence des polymères acryliques.
Le medium du global village
Avec les objets techniques, les designers disposent en effet d’un nouveau gisement pour exprimer leurs talents bien au-delà des Arts ménagers. « Rien d’étonnant à cela », selon Richard Thommeret, car « depuis qu’ils résistent à des chaleurs supérieures à 100°C, comme les acryliques, les plastiques à la fois malléables, légers, solides, isolants voire transparents surclassent dans ce domaine le métal sur tous les plans. » Avec l’essor des mass-media, ils peuvent à loisir sortir de la cuisine et investir le salon, avec les transistors, téléviseurs et autres pick-up… D’emblée, ces produits se revendiquent, par leur forme et leur légèreté, comme des objets nomades. À l’exemple du Téléavia P 111 conçu en 1966 par l’ingénieur Français Roger Tallon. Outre sa coque ovoïde en ABS, il est reconnaissable à sa façade recouverte d’un écran de polyméthacrylate de méthyle (PMMA) teinté destiné à reposer la vision et à créer un voile opaque lorsque la télévision est éteinte.
Dans un registre plus ludique, la longue vitrine de la collection Plasticarium recèle également l’étonnant transistor « Toot a Loop » créé par Panasonic en 1969, sorte de cornet acoustique détourné en bracelet ancêtre du walkman et, plus près de nous, de l’actuel IPod. Autre motif de surprise, le tourne-disque UFO créé par Patrice Dupont pour Philips. Avec son capot rond en acrylique translucide teint en rouge, en bleu ou en gris, son corps en ABS blanc et noir, cet OVNI fonctionnant à pile ou sur secteur était assurément un Objet « vraiment nomade et insolite ». Encore que ! Car les scénographes du Plasticarium n’ont pas manqué d’en faire une sorte de chaînon manquant, précurseur du iMac G3 figurant en point d’orgue final de la collection.