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Le plastique a l’ADAM dure
Dernier né de la muséographie contemporaine, l’Art and Design Atomium Museum de Bruxelles réunit une collection exceptionnelle de pièces emblématiques du lien consubstantiel entre matières et arts plastiques.
Le plastique a l’ADAM dure
Le plastique a l’ADAM dure

Quand le plastique raconte le design

Coques en stock

La contre-culture aura eu un effet paradoxal. Alors que d’aucuns fuyaient la société de consommation sur les chemins de Katmandou, la plupart des autres succombaient à ses délices, grâce à une esthétique où, selon France Billand, « l’imagerie de la conquête spatiale et les visions psychédéliques finissent par se confondre dans les formes du cercle et de ses variantes.»
Ainsi le téléviseur « Vidéosphère » de JVC, mimant un casque d’astronaute, réalise, en 1970, la quadrature du cercle en faisant entrer le cube de l’écran cathodique dans sa sphère parfaite en ABS pour offrir, partout, du lit au bureau, une visibilité globale du monde.

Plus ambitieux, l’année suivante, l'architecte et designer Maurice-Claude Vidili prétend révolutionner l’habitat avec sa «Sphère d'isolement», une coque en polyester et fibre de verre éclairée par des hublots en Altuglas. Plus qu’un lieu d’isolement c’est un meuble global équipé de toutes les connexions utiles, utilisable indifféremment, à l’intérieur ou l’extérieur, comme boudoir, espace de travail, de méditation ou de réception...
Matières organiques au sens propre, les plastiques offraient un substrat idéal pour imaginer ce monde planant peuplé d’objets sphériques, de bulles et de capsules. Avant que la rigueur géométrique et l’esprit de calcul ne reprennent le dessus, avec des matériaux plus conformes au design plus structural des 80’s.

Oh temps, suspends ton vol

Le design hédoniste des 70’s, avec son esthétique planante, entend aussi défier les lois de la pesanteur… Notamment avec des sièges dont le confort vise des postures où le corps n’est plus soutenu mais suspendu… 
Depuis le Bauhaus, cela a conduit les designers à combiner la conception en «porte-à-faux » avec l’art du pli. Les matières plastiques, mieux encore que l’acier, se prêtent à cette démarche dont la chaise Cantilever du danois Verner Panton est, sans doute, l’expression la plus aboutie : elle se compose d’une seule plaque plissée capable d’assurer, à la fois, la stabilité au sol sur une des arêtes courbée, un support confortable avec sa coque ergonomique et bien sûr la possibilité d’emboîtement en série…

Archétype du design plastique, elle a été fabriquée successivement, depuis sa création, en polyester renforcé de fibre de verre, en polystyrène, moins cher, puis en mousse de polyuréthane structurel avant que l’éditeur Vitra n’opte, en 1999, pour le polypropylène…

Avec les plastiques, le pli est pris

Dans le lignée de la chaise Cantilever, tous les polymères seront appelés à exprimer les variations de l’art du pli. L’ensemble «Floris Chair», en résine laquée de fibre de verre, de l’allemand Günter Beltzig, entend rappeler, avec ses motifs floraux aux accents Art nouveau qu’un meuble tripode n’est jamais bancal. 
D’autres, comme le Français Bernard Rancillac et la franco-tchèque Ruth Franken expriment un design plus ludique qui cherche l’ergonomie dans le mimétisme ou la figuration. Plus sobre en apparence, la « Plastic Coffee Table » des italiens Cesare Leonardi et Franca Stagia hésite pourtant entre l’art zen de l’origami et celui, plus baroque du drapé…

1967, année des designers gonflés

Pionniers de l'architecture radicale, les anglais fondateurs d’Archigram imaginent des habitacles nomades dont certains sont pliables voire portables. Ils ne verront évidemment jamais le jour. Ne restera que la volonté d’adapter la ville et l’habitat à une sociabilité fondée sur le credo de la mobilité… 
Cette idée titille d’ailleurs déjà quelques designers qui tentent de la concrétiser par des meubles gonflables. Dès 1962, déjà, Verner Panton a proposé un pouf gonflable en PVC transparent convertible en lit. Mais il faut attendre 1967 pour que le concept s’impose vraiment.  
C’est en utilisant l’air comprimé au lieu du plomb et du mercure, trop toxiques pour mesurer les déformations structurelles de la maquette d’un grand barrage, que le brillant ingénieur Nguyen Manh Qhanh, dit Quasar Khahn, a l’idée d’utiliser l’air dans le domaine du design.

Dans la foulée, il crée la gamme de meubles en PVC gonflables « Aerospace », dont le fauteuil sera popularisé par la scène comique d’un film grand public.
La même année, le groupe Aérolande formé par trois étudiants parisiens de l’École des beaux-arts, Jean Aubert, Jean-Paul Jungmann et Antoine Stinco, présente ses poufs et son fauteuil «Tore» gonflables aux Galeries Lafayette… Quelques jours plus tard, les fauteuils Croissant de Bernard Quentin accueillent les visiteurs du pavillon français de l’Exposition universelle de Montréal.
L’Italie n’est pas en reste où dès 1966, Marcello Mastroianni a pu tester le confort des poufs transparent de Piero Poletto dans une séquence de « La decima vittima ». L’année  suivante, le quatuor d’architectes milanais partisans de l’anti design présente leur célèbre fauteuil Blow, édité par Zanotta.

Les plastiques envers et contre tout

La radicalité à l’œuvre au tournant des 70’s inspire les pionniers plutôt qu’elle ne les marginalise. Peu avant sa mort, le milanais Joe Colombo, au faîte de la gloire, n’hésite pas à rejoindre la jeune école florentine de l’anti-design, un mouvement qui, de l’avis de France Billand entend «rompre avec le fonctionnaliste déshumanisé en affirmant la primauté du design sur l’architecture.» 
Ils seront bientôt dépassés par les tenants du « controdesign » menés par Alessandro Mandini, chantre d’un design très ornemental aux accents proustiens qui conduit parfois à des extravagances comme la série de porte-manteaux en polyuréthane expansé Cactus créée par Guido Drocco et Franco Mello pour Gufram.

Cette création emblématique des objets de déco destinés aux intérieurs « branchés », sonne comme le chant du Cygne de la parenthèse hédoniste avant la grande remise en ordre des années 80… Il faudra attendre plus de 15 ans et l’invention, avec l’iMac G3 des objets de l’ère numérique pour redonner tout son sens au plastique dans le design.

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