Paroles d'expert 6 min

PopArt : une stratégie pour préserver les œuvres en plastique

Rencontre avec le professeur Bertrand Lavédrine, coordinateur du projet européen POPART, visant à développer une stratégie pour améliorer la conservation des objets de musées en matière plastique.
PopArt : une stratégie pour préserver les œuvres en plastique
PopArt : une stratégie pour préserver les œuvres en plastique

POPART : pourquoi un tel projet ?

Au XXe siècle, les artistes ont utilisé des polymères synthétiques pour créer des œuvres qui comptent aujourd’hui parmi les chefs-d’œuvre de nos musées d’art moderne et contemporain. Malheureusement, certains de ces objets se dégradent vite et leur conservation constitue un véritable défi. Ce projet a permis, entre autres, d’évaluer « l’état sanitaire » d’un certain nombre de collections. L’étude menée à Londres par le Victoria and Albert Museum et le British Museum a identifié que,parmi leurs 7 500 œuvres contenant des polymères synthétiques,plus de 12 % exigeaient des actions urgentes de conservation. Ce taux est faible, mais il ne représente que les pièces qui se trouvent dans un état critique, c’est-à-dire avec des transformations physiques visibles.

Or ce patrimoine est récent et l’on craint que la situation ne s’aggrave dramatiquement dans les années à venir.

En fait, nous sommes face à un manque de connaissances sur la stratégie à mettre en œuvre pour limiter l’altération de ces types d’objets. C’est pourquoi j'ai mis en place le projet POPART (acronyme pour Preservation Of Polymer ARTefacts). Son objectif est d’établir et de valider une approche destinée à mieux connaître, préserver et entretenir les objets plastiques présents dans les collections des musées. Le projet s’appuie sur le travail de douze équipes scientifiques de huit pays européens et des États-Unis (le Getty Conservation Institute s’est en effet associé à ces travaux). Des musées aussi ont été associés et il a été ainsi possible de travailler sur le terrain, dans les collections, avec les professionnels, restaurateurs et conservateurs.

Pouvez-vous dresser un historique succinct des polymères adoptés par les artistes ? 

Le Celluloïd (nitrate de cellulose) fut le premier polymère semi-synthétique à être largement utilisé par les artistes dans les premières décennies du XXe siècle. La révolution dans les beaux-arts était déjà bien amorcée avec la percée du cubisme et les artistes des années 1920, tel Naum Gabo. D’autres esters de cellulose furent par la suite utilisés. Dans les années 1930, ce même Gabo mais aussi son frère Antoine Pevsner, et Marcel Duchamp ont travaillé avec le polyméthacrylate de méthyle(PMMA) pour sa transparence et sa luminosité. Dix ans plus tard, ce furent à des artistes comme László Moholy-Nagy et Alexander Archipenko de tirer parti de ce polymère par ailleurs facile à couper, coller et polir et capable d’épouser, sous l’effet de la chaleur, des formes inédites.

Dans les années 1960, le Plexiglas est devenu un matériau courant ! On le retrouve en effet dans les créations d’artistes aussi différents que Wurmfeld, Judd, Kolig, Reimann, Beasley, Wesselmann, La Pietra, Marotta, Nevelson, etc.

* Ce polymère est plus connu sous son premier nom commercial Plexiglas, même si le leader du PMMA est Altuglas International du groupe Arkema sous la marque commercial Altuglas®. Il est également vendu sous le nom d’autres marques commerciales.

Au cours de cette même décennie, des artistes comme Gilardi, César ou Chamberlain se sont servis de polyuréthanes qui, à l’origine, étaient utilisés comme isolants. Un autre matériau largement mis en œuvre par les plasticiens est le polyester. Disponible sous forme liquide, il peut être coulé ou surtout utilisé comme liant entre les couches de fibre de verre et ainsi composer des moulages. Idéale pour les coques de bateau, les voitures en kit et les sculptures de plein air, cette technologie, simple, fut plébiscitée par Saint Phalle, Klasen, Jaco ou encore l‘hyperréaliste Hanson.
Dans le cadre du projet POPART, les études menées sur la nature des collections d’art moderne révèlent que les polyesters, le PMMA, le PVC sont parmi les plus fréquents, mais on trouve également des composés plus anciens, telle la Bakélite.

Comment se dégradent ces plastiques et quels sont ceux qui doivent être conservés en priorité ?

Les causes de dégradation sont multiples. Elles sont d’origine chimique – par l’action de l’oxygène de l’air, de la lumière, de la chaleur et de l‘humidité – ou mécanique, lors des manipulations. Ces dégradations se traduisent par l’apparition de déformations, distorsions, rétractions, fissures, craquelures, accrétions (dépôts de surface), décolorations, modifications de texture, ternissements, etc.
Avec le temps, tous les plastiques se détériorent, mais, pour certains, cette dégradation se manifeste après seulement quelques décennies. Parmi les plus éphémères qui nécessitent donc le plus d’attention, citons le nitrate de cellulose, l’acétate de cellulose, le polychlorure de vinyle et des mousses de polyuréthane.

Notons toutefois que les œuvres en PMMA ayant bénéficié de bonnes conditions de conservation (notamment en les protégeant des UV) semblent avoir mieux résisté aux affres du temps que celles non protégées. Elles n’en restent pas moins extrêmement sensibles à l’abrasion.

À l’occasion de ce projet nous avons réalisé une série d’objets modèles constitués de onze plastiques qui furent exposés dans divers musées et institutions. En moins de deux ans, il a été possible de suivre le vieillissement naturel de ces matériaux par des méthodes spectroscopiques, mais des altérations étaient déjà bien visibles à l’œil nu pour les parties en mousse de polyuréthane-ester.

Quelles stratégies et techniques avez-vous mis en place pour protéger les œuvres ?

Avant de prendre toute décision dans une collection, il convient d'identifier les différents types de plastiques afin non seulement de proposer un traitement adéquat (il faut savoir par exemple que certains plastiques sont sensibles au nettoyage aqueux), mais également des recommandations en matière de stockage et d’exposition.

Dans le cadre de POPART, nous avons notamment testé des appareils portables (spectroscopie infrarouge, proche infrarouge ou Raman, etc.) capables de déterminer quels polymères entrent dans la composition d’une œuvre sans faire de prélèvement. Nous avons constitué des bases de données de polymères récents, mais également vieillis pour l’analyse en proche infrarouge.

Ces bases seront commercialisées par une entreprise partenaire.

Des méthodologies analytiques ont été établies et testées en aveugle parmi les équipes. Les nombreux spectres infrarouge, spectres de masse, etc. obtenus seront mis à la disposition de la communauté scientifique.

Après cette première étape, nous nous sommes intéressés aux méthodologies d’évaluation du niveau d’altération des objets en appliquant des techniques d’imagerie parmi les plus récentes : Térahertz, proche infrarouge. Là encore, pouvoir repérer les zones altérées et quantifier le niveau d’altération représente un bénéfice énorme pour assurer la conservation des objets et définir les traitements adaptés.

Quid de la conservation curative de ces objets ?

Pour ce qui est de l’entretien de ces collections, nous avons évalué des techniques de nettoyage à base de solvants aqueux et organiques afin de mesurer leur efficacité et leurs effets à long terme sur l’aspect et la stabilité des objets. Une méthodologie pour déterminer le traitement adapté a été proposée.
Enfin, nous avons exploré des procédés de consolidation des objets en mousse de polyuréthane. Parmi les solutions prometteuses, les aminoalkylalcoxysilanes (AAAS) semblent offrir un traitement de la « dernière chance » pour renforcer des objets très détériorés.

 

Nous arrivons presque au terme du projet POPART. Quelles sont vos premières conclusions ? 

Elles sont de plusieurs ordres. Concrètement, l’ensemble des informations produites en matière d’identification, d’exposition, de documentation de traitement des œuvres plastiques au sein des musées va permettre d’assurer une meilleure conservation. Il reste beaucoup à faire, mais ce projet aura permis de fédérer autour de cette question, pour la première fois, une communauté internationale de professionnels issus des sciences dures ou des sciences humaines, et de petites et moyennes entreprises afin de proposer des outils innovants.
L’ensemble des résultats de ce projet sera facilement accessible et fera notamment l’objet d’un ouvrage de 300 pages publié par les éditions du CTHS (Commission des travaux historiques et scientifiques). 

Cela permettra à l’ensemble de la communauté patrimoniale (scientifiques de la conservation, restaurateurs et conservateurs) d’être informée sur l’état de l’art, les risques et les méthodes de conservation-restauration.
Au-delà de ces réalisations, le projet marque une étape notable vers la compréhension des enjeux relatifs à ces collections et contribue à montrer la voie pour de futurs travaux. Car, s’il répond à de nombreuses questions, il en pose encore davantage, ne serait-ce qu’en raison de la relative jeunesse des plastiques et les nombreux matériaux qui apparaissent régulièrement et sont adoptés par les artistes contemporains. La connaissance et la conservation de ce type de patrimoine en est encore à ses balbutiements. Heureusement, d’autres équipes ont déjà pris le relais et de nouveaux projets sur les polymères synthétiques et l’art ont été lancés dans la foulée du projet POPART.

Les partenaires du projet POPART :

Centre de recherche sur la conservation des collections, France ; Istituto di Fisica Applicata « Nello Carrara », Italie ; Laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France ;
Arc-Nucléart, France ; SolMateS, Pays-Bas ; Morana RTD d.o.o., Slovénie ; Getty Conservation Institute, États-Unis ; Victoria and Albert Museum, Royaume-Uni ; Polymer Institute, Slovak Academy of Sciences, Slovaquie ; The National Museum, Danemark ; Centre for Sustainable Heritage, Royaume-Uni ; Cultural Heritage Agency of the Netherlands, Pays-Bas.

Plusieurs musées ont collaboré à ce projet, parmi lesquels :
la Danish National Gallery de Copenhague (Danemark) ; le musée d’Art moderne et d’art contemporain de Nice (France) ; le musée d’Art moderne de Saint-Étienne Métropole (France) ; le musée de la Mode et du Textile et le musée Galliera de Paris (France) ; le Centro per l’Arte Contemporanea Luigi Pecci du Prato (Italie) ; le musée Serralves de Porto (Portugal) ; le Science Museum de Londres (Royaume-Uni) ; etc.

Ce projet a donné naissance à de nouvelles synergies entre restaurateurs et scientifiques qui, ensemble, ont étudié des centaines d'objets dans le cadre de ces recherches.

POUR EN SAVOIR PLUS


http://popart.mnhn.fr/

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