Visionnaires cherchent polymères
Des utopies pour préparer l'avenir
Des projets tous plus insolites les uns que les autres sortent régulièrement des ordinateurs d’ingénieurs qui, bien souvent, défrichent des voies qui serviront aux générations futures. N’oublions pas que si, à l’aube du XXe siècle, un jeune scientifique russe ne s’était pas dit qu’il devait être possible de propulser un long tube dans l’espace, l’homme n’aurait peut-être jamais marché sur la Lune quelques décennies plus tard.
Les chercheurs mettent la gomme
Révolutionner l’industrie en concevant de nouveaux matériaux est depuis toujours l’un des fers de lance des producteurs de matières plastiques et des centres de recherche universitaires. Il y a trois ans, des chercheurs du Centre californien de recherches Almaden d’IBM à San Jose annonçaient avoir mis au point une nouvelle classe de polymères qui pourrait révolutionner l'industrie. Ces nouveaux matériaux possèdent en effet d'extraordinaires propriétés : ils sont notamment presque aussi résistants que le métal tout en conservant la légèreté et l’élasticité de certains plastiques. Mais la caractéristique la plus étonnante de ce nouveau matériau est qu’il est autoréparable : en cas de cassure, il suffit de remettre en contact les deux morceaux séparés pour n’en reformer qu’un. Enfin, dernier avantage décisif, ces nouveaux polymères sont facilement recyclables.
Et que penser de ces pigments d’un genre nouveau ? Mis au point par un ancien directeur de recherches au CNRS, ces pigments permettent de détecter un choc, un changement de température, la présence d’un gaz ou d’un solvant, etc., en changeant simplement de couleur. Comment ça marche ? Difficile à dire car le secret est bien gardé… Mais la découverte est de taille, au point qu’Airbus se déclare très intéressé.
Les composites au septième ciel
La voiture volante est en passe d’être reléguée aux oubliettes de l’histoire. Plus grand monde n’y croit si ce n’est quelques irréductibles qui ont bien du mal à démontrer son intérêt pour l’humanité. L’avenir semble plutôt être à la redéfinition de l’avion. Et les projets sont nombreux, preuve de leur sérieux. Ainsi, Airbus espère entamer les vols d’essai de son taxi volant dans les tout prochains mois. Cet appareil devrait ressembler à une sorte de drone géant, autonome et muni d’une cabine. Le cœur de la course à l’innovation repose sur les matériaux composites à base de résines polymères. Aujourd’hui, le composite résine polymère/carbone est le matériau qui a le meilleur ratio rigidité/poids. C’est notamment pour cette raison que le SpaceShip de Virgin Galactic, qui devrait s’aventurer au-delà de l’atmosphère terrestre d’ici peu, est lui aussi entièrement fabriqué dans ce matériau résolument high-tech.
En attendant, pour voir un projet encore plus avancé, c’est du côté de l’Allemagne qu’il faut se tourner. Là-bas, quatre jeunes ingénieurs en aéronautique ont réussi le premier vol d’essai du Lilium Jet, un engin biplace à décollage vertical capable de passer la barre des 300 km à 300 km/h. Le Lilium Jet est équipé de 36 moteurs électriques, dont 24 sont disposés sur le bord arrière des deux ailes, à l’intérieur de volets mobiles, ce qui constitue l’originalité du concept. Le premier vol s’est déroulé en avril 2017 et il a été couronné de succès. Si le mode de propulsion est original, la conception de l’appareil l’est tout autant, puisque celui-ci est entièrement constitué de matériaux composites à base de fibres de carbone. Un choix qui n’est en rien dû au hasard, la chasse au poids étant quasiment devenue une religion pour ses concepteurs.
Des polymères pour atterrir hors des sentiers battus
Refaire voler d’immenses dirigeables est encore un vieux serpent de mer. Le crash du Hindenburg à New York en 1937 a laissé des traces indélébiles dans bien des esprits. Ceci dit, on en connaît depuis longtemps les causes : une densité importante d’électricité statique et une fuite de dihydrogène, un gaz hautement inflammable qui était alors utilisé pour gonfler le dirigeable. Afin d’éviter ce genre de catastrophe, la solution passe par le remplissage à l’hélium, un gaz certes plus rare mais inerte. Les dirigeables sont capables de prouesses, ils sont puissants, peuvent transporter plusieurs centaines de tonnes de fret sur plus de 20 000 km à une vitesse de plus de 200 km/h. C’est certes moins rapide qu’un avion mais bien plus qu’un cargo. Autre avantage, ils se posent à peu près n’importe où et ne nécessitent pas de lourdes infrastructures. C’est donc un moyen de transport idéal, par exemple pour les missions humanitaires voire militaires.
Jusqu’à peu, des verrous technologiques restaient à débloquer. Il faut par exemple compresser des dizaines de tonnes d’hélium et l’enveloppe textile doit être parfaitement étanche aux gaz. C’est donc vers les polymères que les ingénieurs se sont tournés. Les enveloppes modernes sont un véritable panachage de différentes matières plastiques : des élastomères mais également des sandwichs carbone/corecork/résine pour les parties qui sont le plus soumises aux fortes pressions. Cet « assemblage » est si concluant que l’américain Aeros l’a utilisé pour mettre au point son système d’atterrissage. Il prend la forme de boudins disposés en rectangle à la base du dirigeable et qui font office de ventouse une fois effectué le vide d’air. Indéchirable et insensible aux aspérités du sol, le train d’atterrissage permet de se poser n’importe où et sur tous les types de terrains.
Les camions lâchent du lest
Aujourd’hui, le camion représente encore près de 90% du transport terrestre de marchandises. Et c’est un marché qui devrait encore croître de 30% d’ici 2030. Il y a donc urgence à concevoir des véhicules plus respectueux de l’environnement. Des designers russes, associés au fabricant de camions Kamaz, ont dernièrement présenté à la presse leur concept de Kamaz Flex Futurum, un camion-accordéon capable de s’étirer de 7,5 m à 20 m pour s’adapter au volume de marchandises transportées. Fonctionnant à l’hydrogène, il est 100% écologique. Et même s’il n’existe encore que sur des planches à dessin, il est certain que les polymères seront un matériau de choix pour fabriquer les soufflets de ce camion révolutionnaire. Il faudra pourtant patienter encore un peu avant de le voir circuler sur les routes, les designers n’espérant pas une mise en service avant 2040.
Dans un autre style, le géant américain Walmart, leader de la grande distribution en Amérique du Nord, a élaboré un nouveau concept de camion pour sa flotte afin de réduire les émissions de CO2. Objectif : être le plus aérodynamique et le plus léger possible. La remorque serait donc en fibre de verre/résine époxy, un matériau peu onéreux et, ici encore, plus léger que l’acier.
Des polymères imprimés pour tenir le pavé
Au printemps dernier, Michelin, leader mondial du pneumatique, faisait sensation en présentant sa vision du pneu du futur. Bien plus qu’un pneu, il s’agit en fait d’une roue monobloc qui remplace l’ensemble jante-pneu. Sans pression, cette roue est donc increvable et tire sa robustesse de sa structure alvéolaire inspirée du corail. La roue est imprimée en trois dimensions dans un matériau incluant bien sûr du caoutchouc, mais aussi des biopolymères issus du bambou ou même de l’écorce d’orange, et de différents plastiques recyclés. Mais l’aspect le plus surprenant de cette roue repose sur sa capacité à être rechapée. Michelin imagine pouvoir réimprimer une nouvelle bande de roulement sur la périphérie de la roue lorsque celle-ci sera usée, ou tout simplement pour l’adapter aux circonstances climatiques ou topographiques.
Le Vision Concept pourra ainsi tour à tour présenter une sculpture à faible taux de creux pour l’été, lamellisée pour l’hiver, ou même à crampons pour la terre. De plus, la technologie de l’impression 3D est additive, c’est-à-dire qu’elle ajoute uniquement la quantité de matière qu’il faut, là où il faut, sans déchet ni déperdition.
La voiture à hydrogène enfin sur les rails
La voiture à hydrogène, on en parle beaucoup ! Ecologique, ce véhicule le serait assurément. Seul problème, l’hydrogène gazeux est hautement inflammable donc très difficile à transporter en toute sécurité. Les véhicules actuels à pile à combustible ne brûlent pas l’hydrogène, ils le mélangent chimiquement à l’oxygène de l’air pour produire de l’électricité. L’hydrogène est stocké dans des réservoirs coûteux et hautement pressurisés. Les chercheurs du monde entier planchent sur un moyen de mieux le stocker afin qu’il puisse être exploité plus largement comme source de carburant. Une équipe de l’université de Waseda, au Japon, a réussi à mettre au point un nouveau polymère à partir du fluorène. Ce polymère souple peut être moulé et a la capacité de fixer l’hydrogène à température ambiante. Une fois chauffé à 80°, il libère les molécules d’hydrogène en toute sécurité.
Dans un proche avenir, les chercheurs imaginent pouvoir concevoir un conteneur de quelques centimètres cubes qui pourrait être facilement transporté et qu’il suffirait de connecter au moteur du véhicule une fois le plein de gaz effectué. Un réservoir à peine plus gros qu’un téléphone portable… L’avenir des moyens de transport reste surprenant. Une chose est certaine, seuls quelques-uns de ces projets verront le jour mais tous montrent combien l’esprit des chercheurs bouillonne pour trouver des solutions. Dans cette volonté d’innovations, les polymères ont une place de choix. De toute évidence, pour cette industrie, les feux sont au vert.