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Les polymères relèvent le défi du handicap
Avoir une vie proche de la « normalité » est le principal objectif des personnes handicapées. La recherche s’y attelle, le plus souvent avec succès, et nombre d’innovations majeures n’auraient pas été possibles sans les plastiques.
Les polymères relèvent le défi du handicap
Les polymères relèvent le défi du handicap

Prothèses : les plastiques répondent au doigt et à l’œil

Parfois la machine humaine se dérègle voire se brise définitivement, donnant lieu à des handicaps plus ou moins importants. Certains sont irrémédiables car, malgré tous les progrès de la médecine, celle-ci ne sait pas encore redonner la vue à un non-voyant ni l’ouïe à une personne sourde. Pas plus qu’elle ne sait « faire repousser » un membre amputé. Pour pallier un tant soit peu ce manque, des équipes de médecins et d’ingénieurs mettent au point des prothèses qui ne cessent de s’améliorer, notamment grâce aux polymères. Ils sont certes solides, imputrescibles, facilement moulables et légers mais ce ne sont pas là leurs seuls atouts, loin s’en faut !

Les polymères font les yeux doux

Selon l’Organisation mondiale de la santé, il y aurait dans le monde plus de 250 millions de personnes malvoyantes (acuité visuelle inférieure à 3/10e sur le meilleur œil), dont près de 40 millions souffrant d’une cécité totale. La mise au point d’une véritable prothèse oculaire – certains parlent même d’œil bionique – n’est donc pas une lubie destinée à une poignée de personnes. Nombre de centres universitaires publics ou privés orientent leurs recherches pour freiner (voire arrêter) la dégénérescence rétinienne, l’une des causes majeures de malvoyance. Point d’entrée de la lumière, la rétine joue en effet un rôle crucial dans la vision. Lorsqu’elle est dégradée, la lumière passe moins bien, et le cerveau ne peut la transformer en images.

© Banque d’images

Les polymères à base de silicone sont parfaitement biocompatibles. Il est donc logique qu’on les retrouve dans les yeux bioniques encore en cours de développement.

Parmi les équipes les plus en pointe, celle du professeur Fan Zhiyong, enseignant chercheur en génie électronique et informatique à la Hong Kong University of Science and Technology (HKUST), dévoilait l’an passé dans la revue Nature le fruit de leur travail : un œil bionique (le premier du genre) nommé EC-Eye, pour « Electro Chemical Eye ». Cet œil artificiel reprend les proportions de l’œil humain et surtout, il reproduit les fonctions des cellules photoréceptrices de l’œil et du nerf optique. Pour ce faire, il se compose de nanocapteurs connectés à des nanocâbles flexibles réalisés à partir d’un métal liquide introduit dans une gaine de caoutchouc souple. L’ensemble est encapsulé dans un polymère de silicone réputé pour sa biocompatibilité. Si les premiers résultats sont encourageants, le chemin vers un véritable œil bionique est encore long puisque, pour le moment, sa résolution est de 100 pixels contre 7 millions pour un œil humain fonctionnant parfaitement. Il permet toutefois de distinguer des lettres blanches sur un fond noir. Reste également à miniaturiser les nanocâbles qui sont plus « encombrants » que le nerf optique. C’est là que les polymères seront certainement sollicités. Les chercheurs sont très optimistes et espèrent que leur œil bionique trouvera des applications concrètes d’ici 5 ans et ce, aussi bien dans le domaine de la médecine que dans celui de la robotique.

Implant cornéen : la transparence du PMMA tombe sous le sens

Les maladies ou lésions de la cornée (partie transparente de l’œil située devant l’iris et la pupille) sont également une cause importante de cécité dans le monde. Il y a un peu plus d’un an, en Israël, une équipe médicale greffait une cornée synthétique sur un homme aveugle de 78 ans. Cet implant lui a permis de recouvrer la vue. Sa vision n’est pas parfaite mais il est désormais capable de reconnaître les membres de sa famille et de lire un texte. Les greffes de cornées ne sont pas récentes, mais il s’agissait jusqu’alors de transplantation d’organe provenant d’une personne récemment décédée. Or, il y a trop peu de dons de cornées au niveau mondial pour le nombre de personnes atteintes de cécité progressive (une seule cornée serait disponible pour 70 nécessaires). Cette cornée artificielle est donc une véritable avancée.

© CorNeat

Le PMMA, un polymère bien connu pour sa transparence, est idéal pour concevoir des cornées artificielles.

L’implant cornéen baptisé CorNeat KPro est le premier produit synthétique intégré directement sur la surface de l'œil. Il a été conçu par CorNeat Vision, une start-up israélienne spécialisée dans les implants biométriques, et se compose d’une lentille en PMMA, un polymère parfaitement transparent, et d’une jupe 100% artificielle, poreuse et non dégradable. Sa technique d’implantation est relativement simple et dure moins d’une heure : l’implant est posé sur l’œil et il est ensuite suturé par trois points d’un fil armé non résorbable. Cette cornée 100% polymère pourrait redonner de l’espoir à près de 20 millions de personnes dans le monde.

Les plastiques mettent la puce à l’oreille

Pour le moment, hélas, aucun appareil auditif n’est capable de doter de capacités auditives les personnes sourdes de naissance. En revanche, des petites prothèses permettent à celles dont l’ouïe se dégrade (y compris très fortement) de ne pas s’enfermer dans le monde du silence. Leur mode de fonctionnement réside en un amplificateur, placé le plus souvent derrière le contour de l’oreille, qui capte le son, l’amplifie et le mène via un fil au cœur de l’oreille, dans un dispositif qui intègre un mini haut-parleur placé dans une enveloppe de silicone pour être confortable.

© Banque d’images

Les capacités de moulages uniques des polymères et les progrès de l’électronique permettent de créer des prothèses auditives de plus en plus petites donc quasi invisibles..

Si la technologie est parfaitement maîtrisée et connaît très peu d’évolutions notables depuis quelques années, il s’agit désormais de miniaturiser ces prothèses afin de les rendre invisibles. Certaines marques proposent des prothèses entièrement intra-auriculaires. Le micro, l’amplificateur et l’écouteur ne sont pas plus gros qu’un pois chiche. L’ensemble est moulé sur mesure dans un polymère souple et parfois moussé, ou encore dans de la silicone pour garantir non seulement une parfaite adaptation au conduit auditif mais aussi et surtout un grand confort.

 

Parfois, ces appareils ne sont plus assez efficaces… Il est alors possible d’envisager l’implant cochléaire, un appareil qui permet aux personnes atteintes de surdité grave d’avoir un meilleur accès aux sons. Cet implant se place dans la cochlée (la partie de l’oreille interne qui assure l’audition) et stimule le nerf auditif. C’est certes efficace mais assez peu discret car, si l’implant est invisible, il est indissociable d’une partie externe composée d’un tour d’oreille et d’une antenne quant à eux assez visibles. Cependant, cette technologie s’améliore petit à petit. Grâce au nanocoating, une couche d’une épaisseur d’un micron de polymère, le plus souvent du PTFE ou de l’acétate de vinyle, est appliquée sous vide sur l’appareil afin de le protéger. Le polymère pénètre dans toutes les cavités en se liant à leur surface. La protection est ainsi totale. Les composants internes et externes parfaitement isolés rendent les appareils insensibles à l’humidité. Cela réduit leur entretien et prolonge leur durée de vie.

 

© Banque d’images

Les implants cochléaires doivent impérativement faire barrière à l’humidité susceptible de les rendre moins performants. C’est chose faite grâce aux nouvelles technologies de nanocoating à base de polymères.

Pavillon en berne : les polymères à la rescousse

Pour rester dans le domaine de l’oreille, même si l’on ne peut pas à proprement parler de handicap, il arrive que certaines personnes naissent sans pavillon ou que celui-ci soit détruit, lors d’une brûlure par exemple. Généralement cela n’affecte pas le système auditif mais c’est disgracieux.

Grâce aux polymères, il est possible de le reconstruire. Il existe deux cas de figure : dans le premier cas, généralement lié à un problème congénital, le cartilage manque, le pavillon d’oreille n’est alors pas maintenu et pend. Le cartilage peut alors être reconstitué à partir de Medpor, un polyéthylène poreux à haute densité parfaitement biocompatible et dont la porosité permet la néovascularisation. Fabriqué sur mesure, il est posé puis enveloppé par la peau du pavillon au cours d’une intervention chirurgicale assez longue. A noter que ce même matériau est aussi utilisé en chirurgie esthétique sous forme d’implants pour reconstituer un nez ou un menton par exemple. Dans le second cas, l’ensemble du pavillon (cartilage et peau) est inexistant. Un pavillon, également sur mesure, peut être conçu dans de la silicone à usage médical. Il s’agit ici d’une prothèse et plus particulièrement d’une épithèse. L’intervention est nettement moins lourde car elle est fixée à la tête grâce à des implants à ancrage osseux.

 

© Banque d’images

La reconstruction d’un pavillon d’oreille passe par l’usage d’un polymère à base de silicone qui une fois moulé sur-mesure sera teinté en fonction de la couleur de la peau.

Les prothèses ont les plastiques dans la peau

Les prothèses des membres supérieurs ont fait d’énormes progrès ces dernières années. Aujourd’hui, elles permettent par exemple de pincer et de saisir des objets, donnant ainsi plus d’autonomie aux personnes amputées. Et grâce à l’impression 3D, il est désormais possible de fabriquer des prothèses polymères à moindre coût (voir l'interview de Ayúdame3D ). Toutefois, jusqu’à peu, aucune de ces prothèses ne pouvait redonner les sensations du toucher. Pour une personne amputée, saisir un œuf avec sa prothèse peut être problématique puisque, privé de cette sensation, il est fréquent que l’œuf finisse broyé par la pince. En 2017, une première amélioration de taille a vu le jour. On la doit à l’américain Deka qui, après des années de recherches, est parvenu à commercialiser une prothèse de main dénommée Luke en hommage au héros de La Guerre des étoiles. Reliée par des électrodes aux terminaisons nerveuses de la personne amputée, cette main à base de téflon, de silicone et de polyester est capable de mouvements complexes et s’adapte à la consistance de l’objet manipulé. Lorsque le patient actionne ses muscles pour transmettre l’information vers la prothèse, cette dernière sait exactement si l’objet qu’elle manipule est fragile ou non.

© Deka Research

A base de téflon et de silicone, cette nouvelle main artificielle est capable de reconnaître le degré de fragilité de l’objet saisi.

Les polymères font peau neuve

Un premier pas donc mais pas suffisant pour un grand nombre de laboratoires dans le monde qui se sont mis en quête de concevoir une sorte de peau artificielle intégrant un embryon de système nerveux pour recouvrer des sensations tactiles essentielles.

Parmi les publications les plus récentes, celle de l’université de Stanford aux États-Unis en collaboration avec l’Université nationale de Séoul (Corée du Sud) qui déclare avoir mis au point un capteur tactile en polymère (on n’en saura pas plus…) ultrasensible, puisqu’il est capable de détecter la moindre caresse une fois relié au système nerveux. Pour le moment, les tests ont été effectués sur des insectes, sur des cafards plus exactement, et, selon leurs auteurs, ils s’avèrent concluants.

© Banque d’images

Concevoir de la peau artificielle capable de sensation est le sujet de nombreux laboratoires dans le monde. Un défi relevé aussi par les polymères !

A l’Institut royal de technologie de Melbourne, en Australie, on travaille plus particulièrement sur une peau artificielle capable de ressentir la douleur, le chaud et le froid. Elle serait la première du genre à pouvoir différencier une caresse d’une piqûre. Cette peau artificielle a été conçue en créant des circuits électroniques élastiques à base d’un polymère composite flexible qui contient un matériau conducteur à base de carbone (on n’en saura pas davantage, ici non plus…). Les circuits sont équipés de capteurs de pression et le tout est posé sur une couche de silicone biocompatible aussi fine qu’un autocollant. Certes, ce n’est encore qu’un prototype mais cette peau pourrait d’ici quelques années être utilisée sur des prothèses. Elle pourrait aussi être une alternative non invasive aux greffes de peau.

Pour finir, bien que les travaux soient plus anciens, un autre groupe américano-coréen annonçait en 2014 avoir créé une peau à partir de polydiméthylsiloxane, un polymère transparent. Intégrant un réseau très dense de nanofils de silicium et d’or, leur peau est capable de détecter la pression, la température, l’étirement et l’humidité. Depuis, cette équipe n’a pas communiqué… ce qui n’a rien d’anormal puisque, comme c’est souvent le cas, si les premiers résultats sont très prometteurs, la route à parcourir pour leur finalisation prend généralement plusieurs années, voire des décennies.

On le voit, les prothèses de bras et surtout de mains remplissent leurs fonctions essentielles et s’améliorent année après année. Les prothèses de jambes ne sont pas en reste.

Des matériaux polymères comme la silicone, la fibre de carbone et de verre ou encore la résine époxy ont permis de véritables avancées. Plus confortables, plus souples, plus dynamiques… les prothèses nouvelle génération font presque oublier le handicap tant elles redonnent à la démarche un mouvement quasi naturel. Pour en savoir plus, retrouvez l’interview de Össur, l’un des leaders mondiaux dans le domaine : https://plastic-lemag.com/protheses-:-du-confort-au-record

 

© Össur

La lame Cheetah à base de fibres de carbone développée par Össur est désormais une habituée des podiums aux Jeux Paralympiques.

 

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