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L’histoire sans fin des plastiques
L’usage des polymères est multimillénaire. Cependant, il faudra attendre l’aube du XXe siècle pour voir apparaître le premier polymère synthétique. Une aventure déjà ancienne et loin d’être terminée, puisque les polymères ne cessent de se réinventer.
L’histoire sans fin des plastiques
L’histoire sans fin des plastiques

Polymères et recherches : une histoire d’atomes crochus

Depuis la découverte des matériaux synthétiques, il est de coutume d’associer les polymères aux plastiques. Pour la plupart des gens, ces deux mots sont de parfaits synonymes… Ce qui n’est pas faux, puisque tous les matériaux de la famille des plastiques synthétiques sont des polymères. Mais il existe également des polymères naturels. Il faut avant tout savoir qu’un polymère n’est rien d’autre qu’une grosse molécule constituée d’une chaîne répétitive de petites molécules : les monomères.

© Bullenwächter 

On retrouve trace d’utilisation par l’Homme de polymères naturelles plus de 3 000 ans avant notre ère.

 

Et, à l’instar de l’industrie chimique, la nature sait très bien produire des monomères et les assembler en polymères. Parmi eux, on trouve les fibres végétales, la cellulose, les tendons d’animaux, la laine, le cuir, etc., matériaux que l’homme a domestiqués depuis l’âge de pierre.

 

Ötzi par exemple, cette momie découverte dans les années 1990 dans les Alpes de l’Ötztal (d’où son surnom…), en Italie, portait à sa mort une hache dont la pointe en silex était collée au manche par de la poix de bouleau. 3 200 ans avant notre ère, on maîtrisait donc déjà l’usage de polymères comme la poix, une colle naturelle à base de résine d’arbre.

 On trouve également, en Amérique centrale, des traces d’utilisation d’une sorte de gomme faite à partir d’un caoutchouc issu de la résine d’hévéa, 1 600 ans avant Jésus-Christ. Dans les pays occidentaux, il faudra attendre le xviie siècle pour voir apparaître les premières applications de ce caoutchouc naturel… En 1839, l’Américain Charles Goodyear découvrit par hasard son processus de vulcanisation. Il permettait de transformer la sève d’hévéa relativement liquide en une gomme élastique qui connaît toujours un grand succès notamment pour son usage dans les pneumatiques ou les semelles de chaussures (voir article https://plastic-lemag.com/Lart-dexploiter-linattendu).

La bakélite inaugure l’ère industrielle des plastiques

La bakélite est le premier polymère synthétique de l’histoire. On la doit à Léo Baekeland, un chimiste belgo-américain qui recherchait un nouveau matériau qui soit un isolant électrique.
La bakélite allait connaître un succès considérable durant la première moitié du xxe siècle. Ce polymère thermodurcissable (qui, une fois chauffé et moulé, garde sa forme définitive) se compose de benzène (un hydrocarbure) et de solvants. Il a été le premier plastique produit et commercialisé à très grande échelle. On le retrouvait dans les téléphones, les postes de radio, les ustensiles ménagers (aspirateurs, sèche-cheveux…), les bijoux fantaisie et surtout dans les interrupteurs. La marque de voitures de luxe Rolls Royce se vantait même de l’utiliser pour habiller l’intérieur de ses modèles tant ce matériau était alors perçu comme à la pointe de la modernité et du plus grand chic.
C’est la bakélite qui allait ouvrir la voie à l’industrie chimique des plastiques, laquelle, dans les années suivantes, allait développer de nouveaux polymères aux qualités toujours plus étonnantes.

© Holger.Ellgaard

Premier polymère synthétique de l’histoire, la bakélite allait emporter un succès considérable au début du XXe siècle.

Ce titre de premier polymère synthétique de l’histoire est parfois revendiqué par la parkesine inventée au début des années 1860. Elle est constituée d’un mélange de nitrate de cellulose, un élément naturel issu des végétaux et d’une huile animale. Il s’agit donc d’un polymère artificiel, obtenu en modifiant chimiquement des éléments naturels. On ne peut donc pas parler de polymère synthétique. Contrairement à la bakélite, sa réussite ne fut pas à la hauteur des attentes d’Alexander Parkes, son inventeur anglais. En cause, sa volonté de réduire les coûts de production qui eurent raison de la qualité de son matériau. Mais sa découverte ne fut pas fortuite, puisque l’Américain John Wesley Hyatt allait l’améliorer en introduisant du camphre, un composé organique issu du camphrier et du collodion, un antiseptique.

Ce nouveau polymère qu’il baptisa celluloïd allait connaître un destin bien plus enviable…

Nous étions alors en pleine guerre de Sécession (1861-1864) et le Nord soumettait le Sud à un blocus économique qui concernait notamment l’ivoire, matériau précieux qui servait notamment à fabriquer les boules de billard, un jeu très populaire à l’époque.

Soucieux de son avenir, un fabricant d’accessoires de billard décidait de lancer un concours récompensant celui qui réussirait à trouver un matériau capable de se substituer à l’ivoire.

© Michael Knowles

Le celluloïd, inventé pour trouver un substitut à l’ivoire, entrait encore il y a peu dans la conception des balles de tennis de table. 

Le lauréat fut John Wesley Hyatt. Le succès du celluloïd ne devait pas reposer sur les seules boules de billard ! Il servit à fabriquer à peu près tout ce qui était auparavant en ivoire : peignes, manches de couverts, touches de piano, prothèses dentaires mais aussi poupées, aujourd’hui très prisées des collectionneurs, et bien entendu, films photographiques qui firent la fortune de Kodak. Cependant, ce polymère avait pour défaut d’être hautement inflammable. Avec l’arrivée de nouveaux polymères considérés comme moins « dangereux », il se fit plus discret, jusqu’à tomber en désuétude. Il fut pourtant encore produit pour fabriquer des balles de tennis de table jusqu’en 2013, date à laquelle la Fédération internationale de tennis de table décida de lui préférer le polypropylène.

Années 1920 : les plastiques ont aussi leurs années folles

Dans les années 1920, les industries chimiques et pétrolières sont en plein essor et considèrent les polymères comme des matières d’avenir qu’il convient d’améliorer et de développer. Les techniques de forage et de raffinage s’améliorant, le pétrole s’impose de plus en plus comme une source énergétique de première importance. Parallèlement, la montée en puissance de l’industrie automobile nécessite des quantités de carburant toujours plus grandes. Or, une fois le pétrole raffiné en carburant, subsistent des fractions plus légères, gazeuses, comme le naphte dont on ne sait trop quoi faire à l’époque. C’est majoritairement sur le naphte que les chimistes s’appuieront pour concevoir de nouveaux matériaux : les polymères.

La Première Guerre mondiale n’aura permis aucune avancée majeure, voire aura été un frein au développement de ces nouveaux matériaux. Après la commercialisation de la bakélite à la fin des années 1900, il faudra attendre une vingtaine d’années pour voir apparaître de nouveaux polymères synthétiques.
L’invention du PVC en est la parfaite illustration. Sa découverte date de 1835, lorsqu’un chimiste français remarque qu’une pâte blanche apparaît après une très longue exposition à la lumière d’une bouteille contenant du chlorure de vinyle, un mélange d’éthane, d’hydroxyde de potassium et d’éthanol. L’histoire pourrait s’arrêter là si, au début du xxe siècle, un chimiste russe ne s’était pas enfin intéressé à cette découverte. Il cherche alors à utiliser cette pâte que l’on ne nomme pas encore PVC (polychlorure de vinyle) pour fabriquer des objets. Ses efforts sont vains et la guerre puis la révolution russe mettent fin à ses ambitions. Il faudra attendre 1926 pour que l’américain B.F. Goodrich parvienne à stabiliser le polymère en y ajoutant des additifs. Devenu flexible et plus facile à fabriquer, le PVC allait connaître son véritable essor au cours de la décennie suivante. Aujourd’hui encore, il est l’une des stars de la famille des polymères. Sous sa forme rigide, il sert, entre autres, à fabriquer des tuyaux de canalisation (40% de la production de PVC se destine à ces tuyaux), des cartes de crédit ou encore des baignoires et autres lavabos. Sous sa forme souple, il trouve aussi sa place dans les revêtements de sols voire de murs. C’est également ce polymère qui sert à fabriquer les fameux disques vinyles que l’on pensait morts et enterrés depuis plusieurs décennies et qui reviennent en force aujourd’hui.

© BlueBreezeWiki 

Polymère très fréquemment utilisé dans le bâtiment, le PVC est également le matériau des disques vinyles. 

L’aventure du PMMA (polyméthacrylate de méthyle) a beaucoup de points communs avec celle du PVC puisque sa découverte est aussi bien antérieure à sa commercialisation. Elle date de la fin du xixe siècle, quand un chimiste allemand est parvenu à polymériser le méthacrylate de méthyle pour lui donner la forme d’un polymère solide très transparent. Il est, bien avant le polycarbonate par exemple, le tout premier verre organique de l’histoire. Une bien belle découverte qui n’intéresse pas grand monde à l’époque car la synthèse du méthacrylate de méthyle (le monomère) est compliquée et très coûteuse, et son champ d’application apparaît alors comme très réduit. La Première Guerre mondiale n’arrange pas les choses…
Mais le PMMA connaîtra, lui aussi, son véritable envol dans les années 1920 et sera commercialisé pour la première fois sous la forme d’un verre organique dit de sécurité par le britannique ICI. En 1940 apparaissent les premières lentilles de contact. Durant la Seconde Guerre mondiale, il entrera dans la fabrication des tourelles des avions bombardiers, car il est jugé moins dangereux que le verre pour les yeux des mitrailleurs en cas d’attaques ennemies. C’est ce polymère qui est choisi pour ses qualités optiques par les fabricants d’enseignes lumineuses. L’industrie du meuble et ses designers l’adorent pour sa facilité de moulage et sa capacité à sublimer leur travail.

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Durant la seconde guerre mondiale, le PMMA servit à fabriquer des tourelles d’avions bombardiers. Un matériau bien moins dangereux que le verre pour les soldats mitrailleurs…

Années 1930, années 1940, les polymères sur le pied de guerre

Années d’incertitudes liées aux tensions internationales qui allaient déboucher sur la Seconde Guerre mondiale, les années 1930 ont été paradoxalement celles d’un important tournant pour les polymères. Et pour cause, le conflit mondial qui s’annonçait allait pousser les nations à trouver de nouveaux matériaux, notamment pour pallier d’éventuelles pénuries inhérentes à tout état de guerre. Pour l’Allemagne, il y avait même urgence, puisque celle-ci se coupait peu à peu du monde et avait perdu toutes ses colonies à l’issue de la Première Guerre mondiale. Elle se trouvait ainsi dans l’incapacité d’accéder au latex pour produire du caoutchouc ou de la gutta percha, un polymère naturel proche de son cousin le caoutchouc et également issu d’un arbre exotique : le palaquium gutta. Forte d’une industrie chimique déjà à la pointe, l’Allemagne de Hitler allait s’appuyer sur la compétence de ses chercheurs pour trouver le plus rapidement possible des substituts aux matières naturelles. Elle ne fut pas la seule : les Britanniques et les Américains accéléraient eux aussi leurs recherches. A l’époque, il s’agissait surtout de trouver de nouveaux matériaux pour rendre plus efficaces les armes et les systèmes de défenses.
La plupart des polymères encore utilisés en nombre aujourd’hui ont été finalisés au cours des années 1930 et 1940.

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Les années 1930 et 1940 ont été des années fastes pour les polymères. L’urgence de trouver de nouveaux matériaux en temps de guerre a accéléré leur développement.

Fait intéressant, si leurs formules respectives (ou tout du moins leur embryon) étaient parfois connues depuis plusieurs décennies, on ne leur trouvait pas toujours d’application. Les industriels ne jugeaient alors pas utile d’affiner leurs recherches en vue de les commercialiser. La Seconde Guerre mondiale allait changer bien des choses. Cette évolution technologique vécue dans les années 1930-1940 au sein de l’univers de la chimie est en tout point comparable à celle qu’a connue le numérique à partir de la fin des années 1980.

Naissance d’un roi

Aussi étonnant que cela puisse paraître, alors que de nombreux monomères étaient déjà polymérisés, ce n’était pas le cas du plus simple d’entre eux : l’éthylène. Sa polymérisation semblait impossible car elle réclamait des pressions qu’il semblait peu probable d’atteindre mécaniquement. Une équipe anglaise y parvint en 1935 et synthétisa le polymère le plus utilisé encore aujourd’hui : le polyéthylène. Celui-ci fut rapidement mis en production et employé pour étanchéifier les câbles sous-marins en remplaçant de façon efficiente la gutta percha.

 

Il servit également à isoler les câbles à hautes fréquences des premiers radars, des appareils qui furent absolument déterminants dans la victoire des Alliés.

Certains scientifiques affirment que, sans le polyéthylène, il aurait été impossible de concevoir ces fameux radars.

© Yummifruitbat

Sans le polyéthylène, il aurait été bien plus compliqué de mettre au point les radars qui participèrent grandement à la victoire des alliés.

En 1945, aux États-Unis, on parvint à l’extruder par soufflage et l’on en fit immédiatement des fourreaux de fusils. Au lendemain de la guerre, on lui trouvera de nouvelles applications dans l’emballage, au départ pour des shampoings et ce, dès les années 1950. Il sera à la base de la conception des célèbres boîtes Tupperware puis entrera peu à peu dans nos automobiles, avions, films et bien entendu dans toute forme de contenants…

Les plastiques se font également anges gardiens

Autres stars du domaine, les polyamides (dont certains sont plus connus sous leur appellation commerciale de Nylon) furent mis au point durant ces années de guerre. Certes leur découverte est également antérieure puisqu’elle remonte aux années 1910, mais les chaînes de polymères étaient alors trop courtes pour être filées. Un détail qui a toute son importance, puisque les polyamides ont été créés afin de trouver un substitut à la soie naturelle dont la production était coûteuse voire aléatoire à cause de la forte propension des vers à soie à tomber malade.

Si la paternité du polyamide tissable revient à l’américain DuPont de Nemours dans les années 1930, l’allemand IG Farben travaillait aussi sur ce matériau et réussit à lancer sa production au tout début des années 1940.
Aux États-Unis, sa première application fut des poils de brosses à dents mais, conflit oblige, il servit surtout à fabriquer des drisses et des toiles de parachutes, tant en Allemagne qu’aux États-Unis, mais aussi des carcasses de pneus d’avions. Lors du débarquement de 1944, tous les parachutes des GI étaient en polyamide. Sa légèreté, sa résistance et son faible coefficient de friction rendaient les parachutes plus sûrs, épargnant ainsi un nombre de vies considérable. Sans ce polymère, le Débarquement aurait eu une tout autre image voire un tout autre destin, puisqu’il aurait été impossible de fabriquer les milliers de parachutes qui furent utilisés pour cette opération à partir de la soie, comme c’était le cas auparavant.
Dès la fin de la guerre, la production de parachutes ralentit bien évidemment, mais les polyamides continuèrent leur ascension et furent tissés pour devenir des bas et de la lingerie qui peu à peu habillèrent les femmes dans le monde entier. Aujourd’hui, la famille des polyamides se compose d’une bonne dizaine de membres selon la composition de leur chaîne, et certains sont biosourcés, comme le Rislan, un polyamide à base d’huile de ricin qui sert entre autres à fabriquer des équipements sanitaires, des dispositifs médicaux et des colliers de serrage. D’autres, comme le Kevlar, résolument high-tech, sont bien plus récents, puisque ce dernier a été commercialisé en 1971. On le doit à Stéphanie Kwolek, une chimiste américaine travaillant pour DuPont, qui cherchait à mettre au point une nouvelle fibre afin d’améliorer la structure des pneumatiques. Cette fibre, cinq fois plus résistante et bien plus légère que l’acier, résistant aux chocs et au tiraillement, capable de supporter des chaleurs de 400 °C, allait rapidement trouver de beaux débouchés notamment dans les gilets pare-balles. On la trouve aujourd’hui dans les combinaisons de pilote, les gants, les articles de sport, les voiles de bateaux, les garnitures de freins et, bien entendu… dans les pneumatiques.

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Fraichement découvert, le polyamide a permis de fabriquer les milliers de parachutes nécessaires au bon déroulement du débarquement de 1944.

Les silicones, le polyuréthane, le styrène-butadiène, le PTFE (polytétrafluoroéthylène, plus connu sous le nom de Téflon) furent également mis au point au cours de la Seconde Guerre mondiale, et tous trouvèrent leurs premières applications dans l’armement. Le PTFE, par exemple, était le seul matériau capable de résister aux acides extrêmement corrosifs employés dans le traitement de l’uranium 235. Il servira à fabriquer des joints d’étanchéité destinés aux premières bombes atomiques qui mirent fin à la guerre du Pacifique en 1945. Quant au polyuréthane, on le doit à l’allemand Bayer qui cherchait un substitut au Nylon américain. Dès les premières années de guerre, il mélangea de l’eau avec des uréthannes et obtint une mousse qui servit dans un premier temps à isoler les sous-marins et les avions de combat.

Cette Seconde Guerre mondiale fut un catalyseur pour l’industrie chimique. Les deux camps développèrent de nouveaux polymères qui, en se trouvant de nouvelles applications, allaient s’affirmer comme indispensables dans les décennies suivantes. 

 

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