Paroles d'expert 6 min

Notre objectif : valoriser tous les plastiques agricoles en fin de vie

Rencontre avec Bernard Le Moine (président d’APE Europe) et Xavier Ferry (secrétaire général d’APE Europe).
Notre objectif : valoriser tous les plastiques agricoles en fin de vie
Notre objectif : valoriser tous les plastiques agricoles en fin de vie

APE, pour Agriculture Plastics Environment, est une association européenne. Pouvez-vous en préciser les missions ?

Il s’agit effectivement d’une association regroupant différentes entreprises et organisations impliquées dans les plastiques agricoles (ou agroplastiques) hors emballages. Notre champ d’action concerne essentiellement les différents films de paillage, de serres et d’ensilage, les filets de protection ainsi que les ficelles. Nous cherchons certes à défendre et à promouvoir l’utilisation des plastiques agricoles, qui sont d’excellents leviers pour améliorer la qualité et les rendements agricoles, mais aussi et surtout à mettre en place des filières nationales de collecte en vue de recycler ces plastiques, et ce, dans tous les pays européens. Autrement dit, il s’agit de mettre en place une stratégie européenne pour une utilisation durable des plastiques en agriculture, donc une réduction de l’impact environnemental de la production agricole.

© Maurice Faugère, CPA

 

Justement, le grand public s’interroge parfois sur l’intérêt d’utiliser des plastiques en agriculture. Est-ce vraiment nécessaire ?

Nous pourrions certes nous en passer, mais les rendements ne seraient absolument pas les mêmes ! La production chuterait immédiatement de 60%. Il deviendrait alors bien compliqué de nourrir une population toujours en croissance. Mais, et ce point est très important, les plastiques agricoles contribuent également à l’écologie, étant donné que les cultures qui en bénéficient nécessitent moins d’intrants (engrais et produits phytosanitaires), moins d’eau et surtout moins d‘énergie, puisqu’il n’est pas toujours nécessaire de chauffer les serres. On le voit, pointer du doigt les plastiques est donc, comme souvent, assez réducteur, pour ne pas dire un peu simpliste.

Que représentent les plastiques agricoles en Europe en termes de quantité ?

Autour de 720 000 tonnes par an. C’est-à-dire approximativement 1,5% de la demande globale des plastiques. Trois polymères entrent dans la composition de près de 99% des plastiques agricoles : du polypropylène et des polyéthylènes haute et basse densité.

© BASF

 

Qu’ils soient ou non enrichis d’additifs pour les rendre plus souples, plus opaques ou plus robustes, ce sont des matériaux dont on maîtrise plutôt bien les techniques de recyclage. On trouve également des polymères biosourcés ou biodégradables, comme le PLA ou le PBAT (polybutylène adipate téréphtalate), principalement pour les ficelles ou les films de paillage biodégradables dans le sol. S’ils sont encore très minoritaires, on constate cependant que leurs volumes ne cessent d’augmenter.

Ces polymères sont donc simples à recycler… Mais est-ce facile de mettre en place une filière efficace ?

Hélas non, quoique… pour faire simple, disons qu’il existe deux grandes familles de plastiques agricoles : les premiers se destinent à l’ensilage, au revêtement de serres ou encore à la confection de meules et de balles de fourrage. Bien qu’ils aient une durée de vie longue (une année ou plus), ils ne sont pas ou très peu en contact avec la terre, contrairement à la deuxième famille : les films de paillage et bâches à plat. Si la nature de leurs polymères est assez similaire, ces derniers sont généralement souillés par des minéraux, de la terre et de l’eau, après utilisation. De plus, leur durée de vie est assez courte, puisqu’elle se mesure en semaines ou en mois, le temps que la culture parvienne à maturité.

Ce sont ces films souillés qui posent problème, car une fois usagés, leur poids peut être jusqu’à quatre fois supérieur à leur poids d’origine. De nombreux recycleurs refusent ces films, car le temps nécessaire à leur nettoyage impacte la rentabilité du recyclage, voire la rend impossible. Il y a une vingtaine d’années, nous avons bâti nos filières, et les produits collectés étaient exclusivement recyclés en Europe.

© Maurice Faugère, CPA

 

Il se trouve qu’en 2013 puis en 2016, les autorités chinoises ont mis un très sérieux coup de frein à ces importations, refusant d’être le « recycleur » des autres pays. En conséquence, les recycleurs européens ont dû absorber les quantités autrefois traitées en Asie, soit 3 millions de tonnes.
Nous avons dû totalement repenser notre filière en faisant appel à la R&D pour améliorer la qualité1  des plastiques agricoles afin de les rendre de nouveau acceptables par l’industrie du recyclage. Dans l’intervalle, nous sommes revenus pour l’heure à une pratique que l’on aurait aimé oublier : l’enfouissement technique. Cela concerne tout de même 10 000 tonnes de plastiques en fin de vie pour la France seule. A noter toutefois que la valorisation énergétique est également une option. D’ailleurs celle-ci se pratique, pour les plastiques agricoles, depuis déjà longtemps dans les pays du nord de l’Europe, alors que dans le Sud on préfère le recyclage mécanique. C’est d’autant plus rageant que nous étions parvenus à organiser nos filières de façon très satisfaisante, notamment en France, qui était montrée comme l’exemple à suivre. Cela dit, c’est encore le cas aujourd’hui.

1. Voir programme de réduction des déchets à la source : RAFU et biodégradable

Quel a été l’impact sur la collecte du retrait des Chinois ?

La collecte est une nécessité pour l’agriculteur qui a besoin de se défaire de ses plastiques usagés afin d’avoir la place de stocker la nouvelle récolte. Les volumes collectés et les taux de collecte ont continué à augmenter, y compris après la fermeture de la Chine aux déchets souillés.

Quels sont les taux de collecte actuels ?

Ils dépendent de trois paramètres : l’ancienneté du programme et l’organisation des territoires, le volume par exploitation et les possibilités de réutilisation. Le taux varie de 25 à 95%, avec une moyenne globale après cinq ans de 70%. Au niveau individuel, la collecte des plastiques usagés est avant tout un service pour l’agriculteur qu’il utilisera s’il est accessible, si c’est économiquement avantageux et s’il n’existe pas de solutions alternatives. Les opérateurs de collecte comme Adivalor en France ou RIGK en Allemagne développent donc des outils adaptés aux besoins locaux : système de collecte, couverture du territoire, points de regroupement, collecte mobile ou combinée, sacs de collecte, soutien aux points de collecte, applications digitales, etc. Les possibilités sont presque infinies et dépendent des conditions spécifiques locales.

Au niveau collectif, tous les États membres doivent soutenir la mise en place de schémas de collecte dédiés s’ils veulent atteindre les objectifs de la Commission européenne et répondre au défi environnemental. Dans certains pays – en Irlande, Suède, France… –, ces objectifs sont déjà dépassés. Forts de cette expérience, les professionnels des plastiques agricoles sont proactifs et mobilisés pour cela.

© Maurice Faugère, CPA

 

Comment s’articulent vos filières ?

Elles sont différentes selon les pays. Par exemple, la France, la Suède et l’Irlande ont une longueur d’avance, l’Allemagne a des schémas plus récents, le Royaume-Uni est en phase de démarrage. Il est donc difficile de généraliser à l’échelle européenne. Dans tous les cas, nos filières s’appuient sur l’ensemble de la chaîne de valeur ou de la communauté impliquée dans les plastiques agricoles : les producteurs de polymères, les fabricants de plastiques agricoles, les recycleurs, et bien sûr les agriculteurs eux-mêmes. Parler de chaîne de valeur est important car les décisions de l’un des maillons ont un impact sur tous les suivants. Mais, avec le temps et l’expérience, je pense que nous sommes parvenus à une sorte de modèle européen qui met en son centre les agriculteurs, puisque, au final, ce sont eux, les utilisateurs. Ainsi, les Schémas nationaux de collecte éditent à leur attention des fiches de bonnes pratiques que nous leur faisons parvenir. Ces dernières ont été accueillies avec beaucoup d’enthousiasme, car les agriculteurs en ont assez d’être encore perçus comme des pollueurs alors qu’ils font des efforts importants pour une agriculture plus raisonnée. Parmi ces bonnes méthodes, certaines peuvent prêter à sourire lorsque, par exemple, nous leur demandons d’enlever la terre de leurs films usagés en les balayant. Nous leur avons expliqué qu’un film peu souillé était une condition nécessaire à son recyclage. Ils l’ont bien compris et jouent le jeu dans la majorité des cas, même si cela représente un travail supplémentaire.

© CPA

 

Les agriculteurs sont donc partie prenante, mais s’intéressent-ils à la conception de nouveaux plastiques agricoles ?

Oui, ils sont à l’affût des nouveautés et sont par exemple très demandeurs de films intégrant du recyclé. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles ils s’impliquent autant, comme nous l’avons dit. On trouve aujourd’hui sur le marché de nombreux films recyclés et ceux pour l’ensilage, notamment, remportent un joli succès. On commence également à voir apparaître des films étirables issus de polymères recyclés qui servent à la protection des meules et des balles. Ce n’est pas encore possible pour les films de serres, car ces derniers peuvent avoir une durée de vie de trois à cinq ans et, surtout, ne doivent pas s’opacifier durant ce laps de temps, ce que l’incorporation de recyclé ne permet pas pour le moment. Les agriculteurs s’intéressent également aux plastiques biodégradables comme le PBAT, un copolyester. Celui-ci est très intéressant pour les films de paillage, car il est biodégradable directement dans le sol. Il suffit à l’agriculteur de l’enfouir en retournant sa terre pour qu’il se dégrade en quelques mois. Les agriculteurs sont également très sensibles à leur consommation énergétique, que ce soit pour les engins agricoles ou le chauffage des serres.

© Maurice Faugère, CPA

 


Des travaux de recherche sont ainsi très avancés pour mettre au point un film de serre qui incorporerait des panneaux photovoltaïques souples, ce qui représente une innovation considérable. Nous espérons voir les premières applications de cette technologie d’ici peu, tant la recherche est avancée.

L’avenir est donc plutôt prometteur ?

Oui, même si ce qui nous intéresse au plus haut point en ce moment, c’est le présent. Les films biodégradables, voire biosourcés, connaissent une belle croissance mais ils ne feront pas tout. Nous avons, aujourd’hui comme hier, le même objectif : plus aucun plastique agricole ne doit finir sa vie dans la nature. C’est d’autant plus important que, contrairement aux idées reçues, les agroplastiques sont totalement indispensables à la réussite du Green Deal, un programme lancé en 2019 par la Commission européenne, qui vise à rendre l’agriculture plus responsable en utilisant moins d’intrants, par exemple. Or, pour rappel, une culture maraîchère sous film, c’est moins de pesticides, moins d’herbicides et moins d’eau. Pour être totalement vertueuse, elle se doit de trouver une solution aux plastiques agricoles en fin de vie. C’est notre mission, et nous comptons la mener à bien au plus tard en 2030 en proposant des solutions de collecte et de recyclage pour l’ensemble des plastiques agricoles. Le modèle de la gouvernance partagée représente une grande avancée et apporte la plus grande efficacité technique et économique.

© CPA

 

 Pour en savoir plus sur l’APE :
https://apeeurope.eu/welcome-to-agriculture-plastic-environment-ape-europe/

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