Paroles d'expert 8 min

" Les polymères sont précieux s’ils sont utilisés de manière appropriée "

Rencontre avec la docteure Louise Dennis, conservatrice du MoDiP (Museum of Design in Plastics) de l’Université des Arts de Bournemouth au Royaume-Uni.
" Les polymères sont précieux s’ils sont utilisés de manière appropriée "

Pour commencer, pouvez-vous nous présenter le MoDiP ?

Le Museum of Design in Plastics (MoDiP) est né de la collection de différents objets accumulés par le personnel enseignant de l’Université des Arts de Bournemouth (AUB) qui pensait que l’apprentissage du design et de son histoire serait beaucoup plus intéressant en l’illustrant d’objets réels plutôt que de se contenter de livres ou d’images.

La réserve du MoDiP abrite plus de 11 500 pièces

 

 

Au fil du temps, l’Université, persuadée de la valeur de cette collection d’objets, qui s’est considérablement enrichie, a décidé de l’exploiter.

Il est apparu qu’une part importante était entièrement ou partiellement constituée d’objets en matières plastiques.

 La décision a donc été prise en 2007 de réorienter le musée vers les objets en plastique et notre parti pris n’a pas évolué depuis. Notre connaissance des polymères s’est améliorée et la collection, aujourd’hui reconnue dans le monde entier, constitue une ressource importante pour la recherche en design et plasturgie.

Qui sont les principaux visiteurs du musée ?

Le musée se situe dans la bibliothèque de l’Université et nous accueillons des chercheurs et des universitaires de différents horizons. Nous aimons également tisser des liens avec les professionnels des autres musées, les industries du design et des plastiques, le grand public… au Royaume-Uni, certes, mais également à l’extérieur de nos frontières. Nous avons beaucoup de visiteurs en ligne qui utilisent notre site Web (www.modip.ac.uk) et les médias sociaux pour découvrir la collection et accéder aux différentes ressources que nous fournissons en ligne.

Dans le musée, faites-vous preuve de pédagogie en montrant qu'il existe de nombreux polymères différents ?

L’objectif du musée est de montrer à quel point cette famille de matériaux est riche par sa diversité.
Chaque polymère a des propriétés qui lui sont spécifiques et aucun n’est donc universel. C’est également le cas pour les autres familles de matériaux.
Les polymères sont précieux s’ils sont utilisés de manière appropriée. Nous reconnaissons sans réserve l'impact négatif que la mauvaise utilisation des plastiques peut avoir sur l’environnement et la santé, mais nous pensons qu’en tirant les leçons du passé, les fabricants, les concepteurs et les consommateurs peuvent faire des choix plus éclairés. Il est également essentiel de faire preuve de pédagogie en expliquant ce qui peut et ne peut pas être recyclé.
Cela dit, avec plus de réflexion et plus de temps, presque tous les plastiques pourraient être recyclés. Si ce n’est pas encore le cas, c’est parce que des efforts supplémentaires doivent être réalisés sur la recherche mais aussi parce que les coûts de recyclage demeurent trop élevés.

Les visiteurs de tous âges prennent plaisir en interagissant avec la collection

Selon vous, quelles sont les pièces les plus remarquables ?

La collection s’articule autour d’environ 11 500 objets ! Nous pensons qu’ils sont tous remarquables. Faire un choix est donc vraiment difficile. Parmi eux, il y a une boule de billard en nitrate de cellulose des années 1860, tout à fait représentative du commencement de l’histoire des plastiques.

A l’époque, le billard était un jeu devenu tellement populaire que l’ivoire d’éléphant utilisé pour fabriquer les boules était de plus en plus difficile à trouver à cause d’un embargo lié à la guerre de Sécession.
Les fabricants ont ainsi été encouragés à trouver des matériaux alternatifs.

Boule de billard en parkesine datant des années 1860

 Cette recherche de matériaux semi-synthétiques puis totalement synthétiques a été le catalyseur. Elle a permis la naissance de tous les matériaux synthétiques que nous connaissons aujourd'hui.

Je pourrais également citer la chaise de Tom Dixon baptisée Fresh Fat et créée en 2006. Elle est fabriquée à partir d’un copolyester extrudé qui lui donne une brillance semblable à celle du verre. Ce qui est intéressant, c’est que cette chaise est faite à la main.

"Designated Design”, une collection d’objets en plastique d'importance nationale comme la chaise Tom Dixon Fresh Fat

Nous avons souvent tendance à croire que les objets en plastiques sont toujours produits en série, alors que chaque pièce est conçue sur commande et a donc un aspect unique, les boucles qui composent son motif et sa structure dépendant des mouvements de la main de celui qui la fabrique. Il me vient aussi à l’esprit une acquisition récente. Il s’agit du casque de vélo Myelin que nous avons découvert pour la première fois dans un article de votre magazine. Il est conçu pour être facilement démonté afin d’en faciliter le recyclage. Ce casque est remarquable, il montre le rôle que joue l’écoconception dans la circularité des objets plastiques.

L’usage des plastiques a évolué en quelques décennies. Pouvez-vous nous en parler et nous dire ce qu’il en est aujourd'hui ?

J’ai écrit un chapitre entier dans ma thèse de doctorat sur la perception des plastiques et l’évolution de cette perception au fil des ans. C’est un sujet passionnant… mais je vais essayer de faire court ! Les plastiques offrent la possibilité d’être transformés en presque n’importe quoi : ils peuvent prendre toutes les couleurs, toutes les textures et ils ont une large gamme de flexibilité et de résistance. Certains les aiment pour cela, d’autres les détestent pour les mêmes raisons. Depuis l’existence des polymères, nos relations avec eux ont évolué et il est fascinant de cartographier ces changements.

Au début, comme je l’ai déjà mentionné, les polymères étaient utilisés pour imiter et remplacer d’autres matériaux, souvent luxueux, comme l’ivoire ou l’écaille de tortue. Ils le sont encore aujourd’hui, et beaucoup d’efforts sont consacrés à la conception de moules pour concevoir des objets qui se rapprochent le plus possible, tant du point de vue visuel que de celui du toucher, de ceux qu’ils cherchent à imiter.
Au départ, ces imitations rendaient les gens un peu méfiants à l’égard de ces nouveaux matériaux certes « merveilleux » mais qu’ils ne connaissaient pas et donc qu’ils ne comprenaient pas. Ils ne savaient pas comment ils avaient vu le jour ni même comment des objets avaient pu être conçus grâce à eux. Il y avait quelque chose qui les dérangeait, car leur poids n’était pas fidèle au matériau d'origine ou alors leur texture était différente. Les plastiques étaient donc perçus comme des usurpateurs.

Au milieu du xxe siècle, les fabricants et les concepteurs ont cherché à faire passer aux consommateurs l’idée selon laquelle les plastiques n'étaient pas simplement des substituts mais devaient être considérés comme des matériaux à part entière avec leurs propriétés et leur personnalité propres. Il y eut certes quelques abus car les fabricants mettaient parfois sur le marché des produits non pas parce que le choix d’un polymère était meilleur mais parce qu’il était facile à produire en grande quantité et simple d’utilisation. Cela a donné lieu à des inepties, comme ces jouets qui se cassaient, ces imperméables peu étanches ou ces tasses qui se fendaient lorsqu’on y versait un liquide trop chaud. Parfois, au détriment des qualités physiques des matériaux, seul le design comptait. On a pu voir par exemple des polymères comme le phénol formaldéhyde ou la bakélite qui se moulaient si facilement qu’ils permettaient la création de designs glamour et épurés, courbes spectaculaires ou lignes douces inspirées notamment des voitures et véhicules des années 1930 en Amérique.

Quelques pièces de la collection conçues à partir d'urée formaldéhyde, de phénol formaldéhyde et de nitrate de cellulose

 Au début de la Seconde Guerre mondiale, les plastiques sont devenus des héros et ont été utilisés dans des technologies révolutionnaires telles que les systèmes radar ou dans les avions militaires, notamment les verrières des cockpits. Toutes les industries chimiques ont concentré le développement de leurs polymères en vue de leur utilisation dans le conflit. De plus, les pénuries de matériaux naturels les y encourageaient.
La production de ces polymères pendant la guerre a engendré un surplus de matériaux qui n’avaient plus leur place dans les sociétés après 1945. D’autant que, pour une partie du grand public, leur image était associée à celle des engins destructeurs.
Heureusement, les plastiques ont su apporter une touche de couleur et ont permis de nouveaux designs. C’était particulièrement vrai dans les années 1950, lorsque de nombreux pays ont commencé d’encourager le consumérisme pour développer leur économie. Les produits faciles à nettoyer et jetables ont été salués par le plus grand nombre ! C’est la raison pour laquelle le grand public associe parfois les plastiques à des objets qualifiés de kitsch, bas de gamme et bon marché.

Dans les années 1970, les premiers mouvements écologistes commencent à émettre de vives critiques à l’égard des plastiques. Parallèlement, les matériaux naturels deviennent à la mode. Cependant, les progrès techniques des années 1980 ont de nouveau valorisé les polymères, notamment avec l’émergence des appareils électroniques pour tous. Grâce aux plastiques (grâce aussi à la miniaturisation), tous ces appareils de haute technologie tiennent dans nos poches, et sont protégés et isolés par des plastiques robustes.

Bouteilles de la célèbre marque anglaise de produits d’entretien Sqezy conçues par le britannique Cascelloid,

 

Aujourd’hui, chacun est de plus en plus conscient de l'impact qu’ont les plastiques sur l’environnement. Les consommateurs réclament de l’écoconception, ce qui est une bonne chose. Ils réfléchissent avant l’achat et cherchent des matériaux susceptibles d’être recyclés et réutilisés.

 

 

Ils trouvent une nouvelle valeur aux déchets marins si ceux-ci sont récoltés et recyclés en de nouveaux objets.

On peut dire que l’époque est passionnante pour quiconque s’intéresse au design et aux plastiques.

Une paire de lunettes Benson & Ashley effet écaille datant des années 1990

Dans les années 1950-1960, les plastiques étaient perçus comme des matériaux très modernes. Intéressent-ils toujours autant les designers, aujourd’hui ?

Constater que certains designers et fabricants évitent les plastiques simplement parce que ce sont des plastiques n’a pas de sens. Le choix « sans plastique » n’est pas forcément le plus durable ni le plus pratique.
Juste avant l’interdiction de la paille en plastique au Royaume-Uni, j’étais dans un café à Londres et on m’a donné une paille en papier pour ma boisson. Le serveur m’a fièrement fait remarquer « qu’ici, ils étaient sans plastiques ». Il m’a tout de même mis en garde sur le fait qu’il ne fallait pas laisser trop longtemps la paille dans mon verre auquel cas le papier se détériorerait assez rapidement.
Pourquoi une telle substitution alors qu’il était bien plus simple que je me passe d’une paille ?
En septembre 2022, lors de la semaine du recyclage, la société d’aliments végétariens Linda McCartney Foods a tweeté qu’elle allait revenir à l’utilisation de barquettes en plastiques pour emballer ses produits. Elle avait abandonné peu de temps auparavant les plastiques pour l’aluminium, mais elle a découvert qu’en passant de l’aluminium au PET recyclé, elle réduisait de 60% son empreinte carbone. Un chiffre étonnant pour certains mais c’était bien la preuve que le choix d’un bon design en terme notamment de durabilité passe par l’évaluation dans son ensemble : provenance du matériau, gestion de la fin de vie, etc.

Des objets du quotidien utilises lors d’ateliers avec des écoliers

Les bioplastiques, par exemple, en particulier ceux qui sont conçus pour se biodégrader, sont excellents car ils évitent d’avoir à utiliser des matériaux fossiles.  Ce qui est vrai. Toutefois, ils doivent être gérés avec grand soin et dans des process particuliers pour être éliminés totalement. Cela montre que pour chaque solution, il faut répondre à un grand nombre de questions : les plastiques biosourcés n’ont-ils pas un impact négatif sur les terres vivrières ? N’ont-ils pas un besoin excessif d’eau et de produits chimiques nécessaires à leur production ? Ne sont-ils pas des sous-produits d’une autre industrie ? Peuvent-ils être compostés à la maison ? Quid des problèmes de recyclage s'ils se retrouvent dans un flux de déchets ? Vont-ils émettre du gaz lors de leur mise en décharge ? Il y a tellement de choses à considérer !

Quels sont vos liens avec les fabricants et transformateurs de polymères ?

Le musée n'a aucune affiliation avec l’industrie des plastiques. Cependant, nous aimons travailler avec des organisations privées comme la British Plastics Federation. Ces types de partenariats nous aident à mieux comprendre les objets que nous avons dans la collection et nous permettent d’avoir une communication techniquement plus éclairée pour nos visiteurs.

Exposition "Designated Design” exposée dans la galerie de l’Université des Arts de Bournemouth

Comment voyez-vous l’avenir des plastiques ?

Nos sociétés ont tellement compté sur la famille des polymères que je pense qu’il faudra beaucoup de temps avant que nous leur tournions complètement le dos. Ils accomplissent des tâches vitales en nous protégeant de dangers tels que l’électrocution, par leur capacité d’isolation des câbles électriques, en nous mettant à l’abri de blessures diverses, tant au travail que dans les sports. Ils assurent en outre la salubrité et la bonne conservation des aliments en créant une barrière à la contamination. Cependant, nous n’avons pas toujours conscience de leur présence.

 

 

J’aimerais penser qu’à l’avenir, l’utilisation des matières plastiques sera plus réfléchie, écoconçue, et que la réflexion se portera sur la pertinence de leur utilité et leur gestion en fin de vie. Je pense que le MoDiP et Plastics Le Mag notamment, peuvent jouer un rôle en montrant aux concepteurs, aux fabricants et, en premier lieu, aux consommateurs la valeur de cette famille polyvalente de matériaux.

 

 

Dr Louise Dennis est conservatrice du MoDiP. Le MoDiP est le seul musée axé sur les plastiques accrédité au Royaume-Uni. Il a reçu le statut de collection exceptionnelle par l’Arts Council England.
Les recherches de Louise Dennis se portent sur la collection du musée, et plus particulièrement sur les relations historiques et culturelles liées à ces objets. Son travail vise à montrer la valeur des matières plastiques lorsqu’elles sont utilisées de manière appropriée.

L'exposition actuelle "Endurance" du MoDiP montre comment une bonne conception et le bon choix de matériaux plastiques ont un rôle à jouer pour protéger des vies en nous aidant à survivre dans des situations à risque en mer, dans les airs et lors de déplacements à grande vitesse.

Crédit photos pour l’ensemble des images du dossier : Museum of Design in Plastics, Arts University Bournemouth

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