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Les polymères en quête du filtre magique

Rencontre avec Kumar Varoon Agrawal, professeur assistant (tenure track) à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et responsable du laboratoire des procédés avancés de séparation (Laboratory of advanced separations – LAS).
Les polymères en quête du filtre magique
Les polymères en quête du filtre magique

Quand avez-vous rejoint l’EPFL ? Pouvez-vous parler de votre équipe ainsi que de vos recherches actuelles ?

Je suis professeur à l’EPFL depuis 2016, où j’ai pris la tête du LAS. Ce laboratoire fait partie de l’Institut des sciences et de l’ingénierie chimiques (Institute of Chemical Sciences & Engineering – ISIC) de la Faculté des sciences fondamentales (Faculty of Basic Sciences – FSB). Le groupe est assez diversifié et accueille des scientifiques des matériaux, des chimistes et des ingénieurs en mécanique du monde entier. Une dizaine de nationalités y est représentée. Mon groupe de recherche est engagé dans la chimie et l’ingénierie des matériaux à l’échelle de l’Angström (10⁻¹⁰ mètre) en vue de concevoir des membranes à très haut rendement capables de filtrer des éléments à l’échelle moléculaire comme le CO2. C’est un moyen de réduire les rejets de CO2, puisque ce gaz pourra ainsi être capturé lorsqu’il est en phase de postcombustion (dans les cheminées), avant qu’il ne se retrouve dans l’atmosphère. Le CO2 capturé pourra ensuite être soit recyclé, soit stocké sous forme de gaz ou de liquide, en attendant d’être utilisé pour d’autres applications. Ce procédé est nommé « séquestration ».

Nous cherchons des solutions qui soient économiquement intéressantes pour qu’elles puissent être mises à la portée de toutes les entreprises émettrices de gaz à effet de serre. C’est la raison pour laquelle nous avons focalisé nos recherches sur les membranes nanoporeuses et bidimensionnelles. Par nanoporeux, il faut comprendre : capable de filtrer des éléments de la taille du nanomètre ; et bidimensionnel signifie : d’une épaisseur de l’ordre du nanomètre. Nous souhaitons créer des membranes autorisant des débits élevés qui ne laissent passer que certaines molécules de gaz. Ces membranes sont respectueuses de l’environnement, la fabrication ne génère pas de déchets et elles sont actuellement considérées comme l’une des solutions au meilleur rendement énergétique pour réduire les émissions de CO2. Nous sommes en quête du filtre moléculaire idéal !

 

 

 Vous semblez l’avoir trouvé, puisque vous avez développé une nouvelle classe de membranes hautes performances pour la capture du carbone. Quel est leur principe de fonctionnement ?

Nos membranes reposent sur des filtres à base de graphène (un matériau dont la découverte a donné lieu à un prix Nobel) et d’un polymère. Nous avons réussi à perforer le graphène de façon si précise qu’il ne laisse désormais passer que les molécules de dioxyde de carbone (CO2) mais pas le diazote (N2), par exemple. De cette façon, lorsqu’un mélange de CO2 et de N2 est exposé au filtre, ce dernier ne capturera que le CO2, ce qui nous permet de récupérer une molécule dénuée de toute impureté.

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Quelle place les polymères occupent-ils dans cette membrane ?

Leur rôle est capital. Nous avons utilisé un film polymère « CO2phile ». Sa fonction est d’augmenter la concentration de CO2 et de le guider vers les trous de graphène. Nous avons ainsi développé un processus dans lequel nous laminons ce film polymère sur du graphène de manière à ce qu’une membrane d’une épaisseur nanométrique et de grande surface puisse être fabriquée sans fissures ni déchirures.

Nous sommes donc en mesure de produire des membranes adaptées à toutes les demandes des industriels.

En quoi est-elle supérieure aux membranes existantes ?

En premier lieu, nous avons réussi à obtenir un excellent débit. Nous pouvons ainsi filtrer un flux conséquent de CO2. Dans notre jargon scientifique, nous parlons de « perméance ». C’est l’aptitude d’une paroi à laisser passer de la vapeur d’eau. Il faut ici considérer la vapeur d’eau comme un mètre étalon. Plus la perméance est élevée, plus la surface de membrane nécessaire s’en trouve réduite. En conséquence, le coût d’investissement sera plus faible pour les industries intéressées.

Justement, quand ces membranes seront-elles sur le marché ?

Nous estimons que le délai de mise sur le marché est de 2 ou 3 ans. Nous construisons actuellement un démonstrateur à l’échelle pilote pour capter le CO2 à partir de diverses sources (fumées, biogaz, etc.).

Le démonstrateur devrait être mis en service d’ici la fin de 2022 et devrait répondre aux attentes du marché.

Nous travaillons déjà avec un certain nombre de partenaires industriels, dont Gaznat, Shell et des PME suisses locales spécialisées dans le biogaz et l’incinération des déchets.

 

 

 Le parcours universitaire de Kumar Varoon Agrawal

  • Naissance en Inde.
  • Diplôme de premier cycle en génie chimique à l’IIT Bombay en 2005.
  • Jusqu’en 2008, division mondiale de Recherches et Développements de Procter & Gamble au Japon.
  • Doctorat en génie chimique à l’Université du Minnesota (Etats-Unis) dans le groupe du professeur Michael Tsapatsis. Thèse portant sur l’isolement de nanofeuilles de zéolite bidimensionnel hautement cristallin.
  • 2014, chercheur postdoctoral au groupe Strano du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Etude de l'effet du nanoconfinement lors des phases de transition des fluides.
  • Récipiendaire notamment du prix FRI/John G. Kunesh de la division de séparation de l'American Institute of Chemical Engineers (AIChE), du prix Young Membrane Scientist de la North American Membrane Society, de la subvention de démarrage du Conseil européen de la recherche, de la subvention énergétique du professeur assistant de la Fondation nationale suisse pour la science.

 

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