Paroles d'expert 4 min

Ghana, quand l’économie circulaire profite aux femmes

Rencontre avec Dana Mosora, cofondatrice de la Fondation Asase au Ghana. Asase, via le projet « Cloosing the Loop », encourage des femmes à créer des entreprises sociales de recyclage des déchets plastique.
Ghana, quand l’économie circulaire profite aux femmes
Ghana, quand l’économie circulaire profite aux femmes

Vous êtes ingénieure chimiste, roumaine et dirigez Asase, une ONG basée au Ghana… Votre parcours semble assez peu commun…

Je crois que, de nos jours, ce n’est pas rare ! Nous sommes en effet nombreux à désirer consacrer une partie de notre temps aux « choses utiles ». Encore faut-il pouvoir le faire… Auparavant, je travaillais dans le secteur du polyéthylène pour Dow Chemical.

 

Lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai décidé que le moment était venu pour moi de commencer à donner aux autres, car j’ai conscience que j’ai beaucoup reçu tout au long de ma carrière.

J’ai eu l’opportunité d’aller au Ghana pour tenter de résoudre, au moins partiellement, le problème des déchets plastique abandonnés dans l’environnement et qui finissent trop souvent en mer.

Pouvez-vous nous décrire Asase, votre association ?

Le nom d’Asase vient d’Asase Yaa, la Terre mère dans la mythologie akan, et évoque la résilience et la nature nourricière de la Terre. J’ai créé la Fondation Asase avec Hilda Addah, une femme ghanéenne experte de l’engagement solidaire, qui cherchait une solution au problème des déchets plastique. Au départ, elle souhaitait tout mettre en œuvre pour éliminer les plastiques de nos vies. Elle a maintenant pris conscience de leur valeur et sensibilise la population à l’importance de la gestion des déchets. Pour nous, les plastiques usagés ont une véritable valeur monétaire et permettent la création d’emplois. C’est d’autant plus vrai dans les pays qui ne disposent pas encore d’un système de gestion des déchets, comme ici au Ghana.

Aujourd’hui, des dizaines de personnes nous suivent et s’engagent dans les opérations de collecte, de logistique, de retraitement des plastiques. Tous ont choisi Asase parce qu’ils partagent notre vision ! Nous avons la chance de travailler avec des personnes dévouées avec lesquelles nous agissons avec passion en suivant des objectifs précis.

Rendre les femmes ghanéennes plus autonomes et récupérer les plastiques usagés sont les deux objectifs de votre association. Pouvez-vous nous expliquer comment ils s’articulent ?

La stratégie d’Asase est de développer un modèle d’économie circulaire pour permettre aux collectivités locales d’exploiter les déchets plastique rejetés dans l’environnement en les collectant, en les retraitant et en les revendant. Nous cherchons avant tout à boucler la boucle des plastiques au Ghana. Nous avons construit des centres de collecte et de traitement des déchets plastique, nommés CASH IT ! Nous avons doté ces centres de l’équipement nécessaire, et nous formons les personnes à leur gestion opérationnelle et financière. Chaque centre se doit d’être rentable, sinon cela n’aurait aucun sens. Dans un premier temps nous les accompagnons, et lorsque la rentabilité est assurée, nous leur transférons les actifs. Chaque centre devient ainsi une petite entreprise, un centre de profits. Nous aidons également les récupérateurs et les intermédiaires, femmes et hommes, à gérer efficacement leurs opérations de collecte, car ce sont des fournisseurs indispensables pour nos CASH IT !

 

Quels types de déchets collectez-vous et où ?

Nous collectons tous les déchets d’emballages plastique, des bouteilles en PET aux sachets d’eau en polyéthylène basse densité, en passant par les flacons de shampoing et de détergents en polyéthylène haute densité ou polypropylène, ou par les grands bidons d’huile de cuisson, eux aussi en polyéthylène haute densité. Nous transformons les polyéthylènes et le polypropylène, et vendons le PET à des spécialistes capables de le retraiter en fibres.

Nous avons notre réseau de collecte à qui nous achetons les déchets : des résidents, des responsables de marchés, des commerces, des écoles, des églises… Nous avons déjà fondé deux centres de collecte. Nous avons également formé des collecteurs aux différents polymères afin de faciliter le tri, c’est une garantie d’obtenir un niveau de qualité minimum.

Plus important encore, nous nous sommes engagés avec la municipalité et les écoles pour mener des programmes d’éducation et de sensibilisation afin de favoriser le tri des déchets à la source et leur collecte.

 

Comment fonctionnent les CASH IT ! ?

Nous avons bâti le premier CASH IT ! à Katamanso, dans la région du Grand Accra. Cette usine achète les déchets plastique au réseau de collecte que nous avons développé dans la commune, puis les transforme en paillettes, après broyage, lavage et séchage. Les flocons sont vendus à des recycleurs qui fabriquent des plaques ou des profilés de construction, des sacs solides, des bassines, des pavés… Récemment, nous avons investi dans une extrudeuse et avons commencé à fabriquer des granulés de plastiques recyclés que nous destinons notamment à l’Alucobond, des panneaux de bardage composites constitués d’un noyau de polymères pris en sandwich dans deux feuilles d’aluminium. Nous avons maintenant 21 employés permanents et 20 travailleurs occasionnels composés majoritairement de femmes. Tous sont issus de la communauté locale. La plupart d’entre eux n’avaient pas de travail auparavant ou étaient ramasseurs de déchets. Aujourd'hui, les revenus pérennes et les avantages sociaux que nous offrons (assurance médicale de base, régime de retraite, équipement de protection individuelle et vaccination, ainsi que la formation technique permanente) font que travailler pour Asase est un motif de fierté.

Parce que la formation sur le tas n’est pas suffisante, nous avons établi un partenariat avec le Design and Technology Institute d’Accra, afin de gagner en expertise technique. Cette école, parrainée par la Fondation Mastercard, développe les compétences techniques et forme au management. Pour nous, c’est un vivier de personnel important, et beaucoup de techniciennes que nous embauchons sortent désormais de cet établissement.

 

A qui se destinent les produits que vous fabriquez à partir des plastiques usagés ?

Nous cherchons à concevoir des produits viables économiquement et avant tout destinés à notre communauté. Pour leur garantir des débouchés, nous nous sommes associés à un entrepreneur local talentueux et prometteur. Il a construit une usine qui produit des planches en plastiques recyclés imitant le bois

 

Actuellement, il utilise 2 000 tonnes de nos plastiques recyclés par an.

Nous nous sommes par ailleurs associés à l’Université de Gand en Belgique pour améliorer la formulation de ce matériau en vue de le commercialiser à plus grande échelle.

Quels sont vos objectifs à moyen terme ?

Nous bénéficions maintenant de financements de l’Europe et de l’Alliance to End Plastic Waste, qui vont nous servir à agrandir notre premier CASH IT ! Il devrait atteindre une capacité de production de 2 000 tonnes par an. Nous comptons également construire deux nouveaux centres de collecte.

Nous envisageons de reproduire le modèle Asase dans deux autres quartiers d’Accra.

D’ici 2024, nous espérons ainsi réussir à détourner 6 000 tonnes de déchets par an de leur traditionnelle route vers l’océan.

 
 

Pensez-vous exporter votre modèle dans d’autres pays africains ?

Oui, c'est l’objectif final ! Notre modèle d’entreprise sociale doit pouvoir s’adapter dans n’importe quel pays. En Afrique certes, mais également dans tous les pays en développement.

 

 

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