Quand des polymères conduisent l'électricité
Une grosse erreur de dosage
L’histoire raconte que tout aurait commencé en 1974, lorsqu’un jeune étudiant coréen de la Tokyo Metropolitan University, au Japon, alors sur le point de préparer du polyacétylène (un polymère organique), se serait trompé dans les dosages. Maîtrisant encore mal les subtilités de la langue japonaise, il aurait mésinterprété les consignes de synthèse et commis une erreur (d’un facteur de 1 à 1 000 tout de même !) dans le dosage d’un des réactifs. Résultat : au lieu de voir apparaître de la poudre noire, forme habituelle du polyacétylène, il aurait vu se former une jolie pellicule argentée. Le premier film de polyacétylène était né ! Plutôt confus face à sa méprise, le jeune étudiant était encore très loin de se douter que sa « découverte » allait générer une multitude de parutions dans les revues scientifiques et aboutirait, presque trente ans plus tard, à un prix Nobel de chimie.
L'œil affûté d'Hideki Shirakawa
Par chance, ce laboratoire universitaire était dirigé par Hideki Shirakawa, lequel décida d’étudier d’un peu plus près ce film plastique d’un genre nouveau plutôt que de le jeter à la corbeille. Il présenta donc cette « trouvaille » lors de différents congrès qui ne manqua pas de susciter la curiosité du chimiste Alan MacDiarmid et du physicien Alan Heeger, tous deux enseignants à l'université de Pennsylvanie (Philadelphie) qui travaillaient depuis quelque temps sur la conduction électrique des matériaux non métalliques. Supposant que ce nouveau matériau pouvait révéler des propriétés intéressantes dans le domaine de la conduction électrique (notamment grâce à la structure chimique particulière du polyacétylène), Alan MacDiarmid proposa à Hideki Shirakawa de rejoindre son équipe. Les voies du Nobel étaient ouvertes… Celui-ci vint effectivement récompenser les trois scientifiques en 2000 pour leur découverte des polymères conducteurs.
Comment ça marche ?
Pour devenir conducteur d’électricité, un polymère doit être conjugué. Autrement dit, la chaîne des atomes de carbone doit s’articuler autour de liaisons simples et multiples rendant la structure de ce matériau assez comparable à celle du silicium. Néanmoins, cela est loin de pouvoir produire une matière suffisamment conductrice. Une autre opération est nécessaire : le dopage par vapeurs d’iode.
Très schématiquement, l’iode capture une partie des électrons laissant la place à des charges positives qui permettent la circulation du courant électrique. Se forment ainsi des « trous ». Ceux-ci peuvent se déplacer le long de la chaîne polymère qui devient ainsi conductrice d’électricité. CQFD !
Des premières applications optoélectroniques *
Le principe était donc posé. Après des années de recherche, d’adaptation, de mise au point mais aussi de fausses routes, cette nouvelle technologie finit par gagner en maturité, et les premiers développements industriels virent bientôt le jour. L’un des plus importantes (pour ne pas dire l’un des plus spectaculaires) concerne l'optoélectronique et plus exactement la fabrication de diodes électroluminescentes qui, une fois excitées électriquement, émettent de la lumière. Cette nouvelle technologie est applicable à une grande variété des polymères existant sur le marché. La diversité de leurs propriétés intrinsèques permet aux fabricants de proposer une palette de produits bien spécifiques (éclairages, écrans, gadgets en tout genre…).
* Etude des composants électroniques qui émettent de la lumière ou interagissent avec elle.
La révolution des OLED
Les OLED (Organic Light-Emitting Diodes ; traduisons : diodes électroluminescentes organiques) font bien souvent le « buzz » ces dernières années. Elles en font rêver plus d’un ! Et pour cause, l’une de leurs très prochaines applications entrera de plain-pied dans de nombreux foyers par le biais d’écrans de télévision extra-plats, voire flexibles et donc « roulables ». Encore une fois, sans le plastique, cette technologie n’aurait jamais vu le jour. En effet, ces écrans novateurs se composent d’un empilement de couches de polymères organiques conducteurs (plus exactement semi-conducteurs) traversées par un champ électrique. L’épaisseur de l’ensemble n’est que de quelques nanomètres.
À l’heure qu’il est, de nombreux groupes industriels ont déjà déposé de multiples brevets (principalement Eastman Kodak). Cette technologie encore toute jeune reste perfectible. L’un des défis majeurs à relever concerne la durée de vie de ces OLED. Elle est pour le moment de l’ordre de 14 000 heures contre 50 000 pour les écrans à cristaux liquides (LCD) ou plasma. Néanmoins, la recherche avance, et Mitsubishi annonçait il y a quelques mois la mise au point d’un écran de quatre mètres de diagonale et d’une durée de vie de 20 000 heures. LCD, plasma… leurs jours sont désormais comptés.
Mais aussi de la lumière !
L’industrie des écrans n’est pas la seule à s’intéresser de très près aux OLED ; les fabricants d’éclairage sont aussi sur les rangs. Ainsi en 2009, Philips commercialisait ses Lumiblades® : un nouveau type d’éclairage reprenant la technologie des OLED. Imaginez une source lumineuse souple, qui peut épouser la forme de votre choix, se décliner en différentes couleurs et qui surtout, grâce à sa diffusion homogène, n’éblouit pas. Serait-ce déjà la fin des ampoules à basse consommation ? Il y a fort à parier que oui, car cette innovation s’adresse autant aux professionnels de l’éclairage ayant pour mission d’illuminer des bâtiments entiers qu’aux consommateurs lambdas qui y voient une façon originale de mettre en valeur leur intérieur.
OLED,PLED,PHOLED... Raz-de-Marée annoncé
Gageons que cette technologie qui, rappelons-le, se développe très vite va certainement mettre au rencard nombre d’objets que nous qualifions encore aujourd’hui de modernes tant ses applications sont prometteuses. Les OLED sortent à peine des laboratoires que, déjà, on parle de PLED (Polymer Light-Emitting Diodes, aussi connues sous le sigle PEL : Polymères électroluminescents ou, en anglais, LEP : Light-Emitting Polymer). Pour émettre de la lumière, les PLED utilisent des polymères liquides pris entre deux feuilles souples. L’utilisation de polymères de ce type permet une industrialisation rapide et moins onéreuse. Le principe de fabrication repose sur le dépôt des molécules actives sur le substrat (la feuille) par un procédé identique aux imprimantes à jet d'encre.
Révolution technologique en marche
Autre dérivé des OLED : les PHOLED (Phosphorescent Organic Light-Emitting Diodes), qui commencent à sortir des laboratoires de recherche. Dernière génération d’OLED, elles en sont très proches technologiquement. Les PHOLED ont toutefois un rendement énergétique largement supérieur aux OLED puisqu’elles permettent de convertir 100 % de l'énergie électrique en lumière alors que la technologie des OLED en convertit seulement 25 %. Plus clairement, cela signifie que pour le même rendement, ces nouveaux appareils consommeront quatre fois moins d‘énergie. Les prochaines générations d’écrans pour smartphones, lecteurs MP4 et autres consoles de jeux portables en seront équipées. Place donc à un type moderne d’appareils qui gagnera en autonomie !
La révolution technologique est bel et bien en marche. Que répondrez-vous à vos petits-enfants lorsqu’ils découvriront au fin fond de votre grenier une bonne vieille ampoule en verre et qu’ils vous demanderont ce que c’est ? Vous en souviendrez-vous ?
POUR EN SAVOIR PLUS
http://www.lighting.philips.com/main/lightcommunity/trends/led/lumiblade.wpd
http://www.universaldisplay.com/