Sécurité incendie : où en est la recherche ?
Vous êtes chercheur et effectuez de nombreuses études du comportement au feu des matériaux. Quand il est question de toxicité des fumées, les plastiques sont bien souvent sur la sellette… Qu’en est-il réellement ?
La toxicité des fumées émises par un matériau qui brûle n’est pas seulement liée à la nature de ce matériau. Hélas pour nous, car la réalisation de nos tests en serait très largement simplifiée. Pour analyser un feu, il faut une approche systémique et globale. Pour le dire autrement, il ne s’agit pas uniquement de prendre un morceau de matière, de le mettre sous un four et de voir ce qui se passe, mais au contraire de prendre l’ensemble des matériaux potentiellement présents, de considérer la teneur en O2, la température atteinte, l’évolution du scénario, etc., et d’examiner comment tous ces facteurs interagissent.
Il y a une très forte différence entre le potentiel toxique d’un matériau et sa toxicité réelle. Celle-ci dépend bien souvent des conditions dans lesquelles le matériau brûle, donc du scénario de l’incendie, davantage que de sa nature seule.
En ce qui concerne plus précisément les plastiques, avez-vous des données sur leur toxicité ?
Je ne peux que faire une réponse incomplète. Elle est affirmative dans le cadre de la réaction au feu des polymères utilisés dans les moyens de transport, mais elle est beaucoup plus approximative pour le bâtiment. C’est assez simple à comprendre. Prenons un véhicule qui brûle ; nous en connaissons exactement la composition et pouvons donc analyser finement ce qui se passe. Pour un bâtiment, l’exercice est bien plus ardu car, si nous connaissons les matériaux utilisés pour sa construction, nous ne savons pas ce que les occupants ont ajouté : livres, meubles, accessoires en tout genre, etc., lesquels seront probablement davantage à l’origine du dégagement de fumées lors de la phase d’évacuation.
Quoi qu’il en soit, je peux affirmer que la toxicité des fumées des plastiques n’est pas plus alarmante que celle d’autres matériaux, comme certaines matières naturelles qui ne sont finalement que des polymères conçus par la nature !
Connaître la résistance au feu des matériaux est primordial pour prévoir leur comportement. Dans quelle catégorie se trouvent les plastiques ?
Là encore, je vais devoir balayer quelques idées reçues, car globalement, les plastiques peuvent avoir une très bonne résistance au feu et même un excellent comportement structurel en cas d’incendie. D’ailleurs, l’industrie le sait depuis bien longtemps.
Que ce soit celle du transport ou du bâtiment, elle développe de nombreux matériaux composites dont les comportements face au feu ou à la chaleur sont stupéfiants.
Avez-vous des exemples d’applications ?
Dans les transports, certaines commencent à être connues du grand public qui les associe avant tout à la légèreté et à la rigidité. C’est vrai mais ce n’est pas la seule qualité des matériaux composites. Leur comportement au feu en est une autre non négligeable. De ce fait, on trouve de plus en plus ces nouveaux matériaux dans des automobiles fabriquées en grande série. Je peux également citer les ailes de l’avion Rafale, de nombreux éléments structurels des avions les plus récents, le pont arrière de certaines frégates militaires, ou les coiffes et tuyères des fusées Ariane. Quant au bâtiment, les applications sont encore plus récentes, mais souvent moins technologiques. Des composites béton-polymère arrivent par exemple sur le marché et sont particulièrement appropriés aux constructions de grande hauteur pour palier le défaut d’écaillage des bétons.
Dans le bâtiment, certains affirment pourtant qu’il faut éviter le plastique et utiliser des matériaux naturels comme le bois, la laine…
Ce n’est qu’une question de point de vue. Cela peut être envisageable pour des considérations environnementales (dans le cadre du Grenelle de l’Environnement, par exemple), mais pour la sécurité incendie, le discours doit être modéré. Nos recherches et essais le démontrent bien. Notre travail consiste également à trouver les matériaux et produits présentant les meilleures performances face au feu. Pour nous, peu importe l’origine des matériaux car il s’agit bel et bien de sauver des vies. Les matériaux naturels comme le bois et la laine ne sont pas à considérer comme plus avantageux pour les professionnels de la sécurité incendie puisqu’ils peuvent brûler très vite, intensément, et dégager beaucoup de gaz toxiques. Je vous laisse donc tirer vous-même les conclusions.
Le LNE en quelques mots
C’est une institution plus que centenaire qui, en pleine révolution industrielle, avait pour vocation de répondre aux besoins de mesures et d’essais de l’industrie. À la fin des années 1970, parallèlement à notre rattachement au ministère de l’Industrie, nous sommes devenus un établissement public à caractère industriel et commercial (ÉPIC). Nos missions ont été élargies notamment aux essais concernant la sécurité du citoyen. Aujourd’hui, nos actions se développent autour de cinq pôles : les essais normalisés pour l’industrie, les étalonnages des poids et mesures, la certification, la recherche et enfin, l’assistance normative et règlementaire dans le domaine industriel.
Bio express
Éric Guillaume travaille depuis près de quinze ans dans le domaine de la toxicité des fumées, tout d'abord à la SNCF puis, depuis 2005, au LNE. Ingénieur en chimie industrielle - génie des procédés -, il est aujourd'hui responsable de la R & D pour la partie « essais » du LNE. Il est également président de la commission de normalisation X65t « toxicité des fumées », animateur de groupe de travail sur le sujet à l'ISO et auteur de nombreuses monographies, ouvrages et articles.
Norme iso et ingénierie de la sécurité incendie
Éric Guillaume participe au Comité international de normalisation ISO 92. La commission dont il est membre concerne les dangers du feu pour les personnes et l'environnement. L’objectif de cette commission est d’établir des normes pour mesurer la toxicité des fumées et de modéliser les effets du feu sur les personnes. « Notre vision est très large car nous travaillons à évaluer les impacts environnementaux des feux de très grande ampleur comme les incendies de forêt ou de raffinerie. Outre cet aspect prospectif, nous sommes très pragmatiques puisque nous travaillons actuellement à la réalisation d’un guide portant sur l’analyse de la toxicité des fumées dans une approche systématique, à destination du bâtiment, et nos recommandations risquent fort d’en surprendre plus d’un… »