Paroles d'expert 6 min

Plastiques : feu vert à l’innovation chez Renault

Le plastique a gagné ses lettres de noblesse auprès des professionnels de l’automobile, ce qui en soi n’est pas nouveau. Jouissant de propriétés encore insoupçonnées du grand public, il est présent dans de nombreux éléments souvent inattendus. Rencontre avec Gérard Liraut, responsable du service des polymères et des fluides chez Renault.
Plastiques : feu vert à l’innovation chez Renault
Plastiques : feu vert à l’innovation chez Renault

Peut-on dire que Renault a été précurseur dans l’intégration de matières plastiques dans l’automobile ?

Nous avons été pionniers dans bien des domaines en osant innover et en apportant des solutions qui risquaient de déranger le grand public encore très attaché à la symbolique de robustesse de l’acier. Dans les années 1970, nous sortions la Renault 5. Pour la première fois, un véhicule était conçu avec des boucliers constitués d’un matériau composite. C’était une révolution puisqu’enfin cette partie du véhicule était pensée non seulement comme un élément de sécurité, mais aussi de design. Cette audace, nous l’avons encore eue il y a vingt-cinq ans en concevant des ailes en plastique pour la Renault 5 GT Turbo. Ont suivi la Clio Williams, le Scénic, la Modus, l’Espace, le Kangoo, la Twingo…

Malgré nos craintes, l’accueil du public a été satisfaisant, car celui-ci a bien compris l’intérêt d’un tel matériau, lequel, en cas de choc à faible vitesse, reprend sa forme initiale, évitant ainsi des dépenses onéreuses de carrosserie.

Pourquoi avoir adopté ces matériaux plastiques ?

Pour ce qui est des ailes, je dirais sans hésiter que l’argument premier fut la question de son coût. En effet, si l’utilisation du métal sur des grandes séries reste plus intéressante en termes de rentabilité, il n’en est pas de même sur les séries plus restreintes. Je rappelle que nous avons commencé à nous intéresser à ce matériau dans le cadre de la Renault 5 GT Turbo qui, compte tenu de son caractère exclusif, ne pouvait concerner qu’une petite série. Lorsque nous avons conçu le Scénic, nous pensions en produire quelques centaines par jour, ce qui est peu. Au final, nous en avons construit quelques milliers par jour et avons conservé les ailes en plastique. Mais le coût n’est plus l’unique raison de cette utilisation des matériaux plastiques.

En effet, la solidité, la tolérance à la déformation, plaident largement en faveur du plastique. La fiabilité, la légèreté, le design sont d’autres atouts de cette matière.

Plus précisément, de quels plastiques s’agit-il ?

Nous utilisons pour les ailes un thermoplastique injecté composé de polyamide (PA) et d’oxyde de polyphénilène (PPO). Nous avons opté pour ces matières parce que ces éléments ne sont pas teintés dans la masse, ils sont peints en ligne et doivent donc résister aux fortes températures dues au procédé de la cataphorèse.

La technique de l’injection permet aussi aux designers de proposer des formes audacieuses qui participent à la différenciation de nos véhicules.

 

Le plastique règne désormais en maître sur certains éléments, mais pourquoi d’autres apparaissent-ils comme des bastions imprenables ?

Dans le moteur, le plastique se limite aux différents carters, au répartiteur d’air ou encore aux silentblocs. Malgré toutes ses qualités, il est encore inenvisageable de penser plastique pour les pièces mécaniques qui sont soumises à de très hautes températures et à de très fortes frictions. Il ne faut pas s’attendre non plus à trouver beaucoup de plastique dans le moteur des voitures électriques, et ce pour les mêmes raisons. Outre les problèmes liés à l’usure, donc à la résistance, le plastique pose encore des problèmes d’assemblage. S’il se colle très bien, il se boulonne nettement plus difficilement, et un simple trou peut considérablement diminuer la durée de vie de la pièce.

Ce qui est vrai pour le moteur l’est aussi, du moins partiellement, pour la caisse autoporteuse. Mais le problème est ici différent, il est lié à la déformation. En effet, le plastique se déforme jusqu’à un certain point puis il casse (ce qui n’est pas toujours le cas du métal). Nous sommes donc face à un souci de réparation. Il y a aussi des améliorations à apporter pour rendre thermoplastiques les matériaux composites et ainsi pouvoir les utiliser dans des process classiques d’injection. C’est une piste très intéressante pour l’avenir, et des sociétés comme Rhodia ont présenté des matériaux allant dans ce sens lors du salon Kunststoffe 2010.

Peut-on être plus optimistes avec d’autres éléments ?

Je le crois. Rien ne nous empêche d’imaginer un ouvrant (porte, capot, haillon) intégralement en plastique. À nous de faire en sorte que le design, la facilité de mise en oeuvre et le coût soient au rendez-vous. Autre chantier : les sièges. Leur masse est beaucoup trop importante par rapport à leur usage. Idem en ce qui concerne le poids du tableau de bord, pour lequel une solution d’allègement reste à trouver. Encore un exemple ? Celui de la carrosserie bi-tons. Jusqu’à présent, il s’agit de peindre le véhicule de deux couleurs différentes alors que le plastique autoriserait cette décoration tout en l’agrémentant d’une découpe sympa. Ce matériau permettrait aussi de personnaliser les intérieurs des véhicules et ainsi de répondre aux demandes de nos clients. 

Nous travaillons également sur des matériaux de sellerie capables de résister à des agressions comme le soleil, les rayures, la salissure, etc. Les sièges des derniers Espace sont équipés d’un revêtement Téflon® les rendant quasiment insalissables.

Nous pensons aussi que les véhicules de demain, et notamment les véhicules électriques, seront multi-utilisateurs. Nous cherchons donc des matériaux qui garantissent un bon vieillissement, et les matériaux plastiques et composites sont, sur ce point, réellement prometteurs.
Ainsi, il n’est pas insensé de réfléchir à des habitacles lavables à grandes eaux.

Quels critères prenez-vous en compte quand vous décidez de substituer l’acier au plastique ? 

Toutes nos avancées en termes d’engineering reposent sur quatre conditions : l’augmentation de la valeur ajoutée pour les clients, le gain de fiabilité et de durabilité, l’uniformisation et la réduction des coûts, enfin la diminution de l’empreinte environnementale.
Ces conditions sont souvent liées entre elles. Prenons l’exemple de l’usage.
De ce point de vue, nous cherchons globalement à substituer le métal et également le verre par des plastiques composites capables de réduire le poids des automobiles et du moteur en vue de restreindre la consommation et l’émission de CO2.
C’est l’un des grands enjeux actuels !

En vingt ans, les voitures ont vu leur masse moyenne augmenter de plus de 300 kg (l’électronique, les éléments de sécurité et de confort en sont les principaux responsables) et si nous n’utilisions pas de plastique, ce surpoids serait très certainement de l’ordre de la demi-tonne.
Cette question reste centrale avec la voiture électrique : il est nécessaire d’alléger certaines pièces pour pallier le poids des batteries, car il n’est pas ici question d’émission de CO2 mais de gain d’autonomie.

À ce propos, quelle est votre politique environnementale ?

Nous veillons à utiliser de plus en plus de matériaux « verts ». Les recherches concernent un accroissement de l’utilisation de plastiques recyclés, mais également une augmentation de composants recyclables. Aujourd’hui, les matériaux plastiques recyclés (polypropylène et polyamide) représentent environ 20 % des 230 kg de plastique qui constituent une voiture standard. Du reste, ce matériau se recycle quasiment mieux que l’acier. 
Par ailleurs, Renault intègre très peu de bioplastiques, c’est-à-dire de matériaux composés d’éléments naturels car, à ce stade, il n’est pas certain que le bio soit vraiment écologique. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il n’existe pas à ce jour de filière de recyclage des biocomposites, sauf énergétique, et cela n’est pas une option satisfaisante pour Renault.

Le futur de l’automobile passe-t-il par le plastique ?

De plus en plus même si beaucoup reste à inventer ! Les vitres pourraient être remplacées par des matériaux organiques. C’est chose faite sur les custodes de la Mégane Sport Revolution. Pour aller plus loin, les polymères électroactifs font déjà rêver les chercheurs. Ce sont des plastiques qui, excités par une source électrique, peuvent changer de forme. Ce n’est pas un simple gadget, car ces polymères pourraient remplacer les très lourds systèmes d’enceintes. À ce sujet, nous avons déjà déposé un brevet pour l’intégration dans nos sièges d’un petit système qui change de forme dans les virages prononcés afin d’améliorer le confort du conducteur. Les tissus électroluminescents ont aussi un bel avenir, ils viendraient en lieu et place des plafonniers.

Vous le voyez, le plastique peut rendre un nombre incalculable de services. Cela dit, nous cherchons avant tout le meilleur matériau d’un point de vue technique, environnemental et économique.

Impliquez-vous vos fournisseurs en matières premières dans ces recherches ?

Avec la montée en puissance des matériaux plastiques dans l’automobile, nous sommes devenus des clients à très fort potentiel, ce qui n’était pas le cas il y a encore une quinzaine d’années. Nous devons être aujourd’hui les troisièmes clients des industriels du plastique (après l’emballage et le bâtiment).

Chez Renault, nous nous intéressons à la fonction de la pièce beaucoup plus qu’à sa composition. Nous associons donc nos fournisseurs à la partie recherche et développement pour la mise au point de nouvelles pièces. Nous leur expliquons ce que nous souhaitons faire, à eux de trouver (ou pas) des solutions.

J’ajoute que nous avons aussi un cahier des charges très strict concernant les taux de plastiques recyclés et recyclables que nous souhaitons utiliser dans chacun de nos modèles. Nous sommes inflexibles sur ce point-là !

Parcours de Gérard Liraut

Gérard Liraut a une expérience de plus de quinze années chez Renault. Ingénieur de formation, il a complété son cursus par un doctorat en tribologie (étude du frottement). Il a intégré le constructeur automobile en 1994 en tant que responsable de l’équipe tribologie. Sept ans plus tard, il a rejoint le bureau d’études en charge du développement des systèmes de refroidissement. C’est là qu’il a découvert le plastique ! Depuis 2006, il est responsable du service des polymères et des fluides, un service de recherche et d’engineering où s’effectuent les choix technico-économiques des matières et leur mise en application.

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