Paroles d'expert 4 min

« Nous sommes toujours à la recherche de la fibre magique »

Rencontre avec Gautier Sergent, responsable R&D de North Sails, leader mondial des voiles en composites.
« Nous sommes toujours à la recherche de la fibre magique »
« Nous sommes toujours à la recherche de la fibre magique »

Votre parcours chez North Sails en quelques mots ?

Après 10 ans passés chez North Sails Nouvelle-Zélande à la suite d’un stage de fin d’études d’ingénieur, j’ai complété ma formation avec un master dédié à la physique de la voile. Cela m’a donné l’occasion de découvrir l’univers de la course au large et notamment la Volvo Ocean Race dont North Sails est devenu le fournisseur officiel exclusif. J’ai eu aussi l’occasion de participer à la coupe de l’América avec Oracle. En 2010, je suis rentré en France pour travailler sur le projet Groupama de Franck Cammas pour la Volvo. En 2014, j’ai pris la direction des sites de production aux USA des voiles moulées en 3D. Je suis rentré en France depuis deux mois pour structurer et diriger la cellule R&D.

Pourquoi North Sails a-t-il toujours été à la pointe de l’innovation ?

Pionnier de la fabrication de voiles en composites avec la technologie 3DL, l’entreprise américaine North Sails est leader mondial avec environ 50 % de parts de marché des voiles affichant une très nette domination dans les courses et régates. Au moment de sa création fin des années 1950, Lowel North, le fondateur de l’entreprise, avait, dans la foulée de Ted Hood, réussi à maîtriser la fabrication du Dacron qui est un polyester tissé. Par l’ajout de mélamine et de traitements thermiques, il est parvenu à obtenir un tissu plus stable qui réduisait les déformations des voiles et permettait la reproduction du procédé de fabrication en préservant le même niveau de qualité. C’était la première innovation d’une longue série.

Quelles nouvelles techniques de fabrication apparaissent dans les années 1980 ?

Il a fallu attendre les début des années 1980 pour commencer à voir des tissus laminés à base de Kevlar (aramide) et notamment des fibres pris en sandwich entre deux films de PET (Mylar). Ces nouvelles techniques de fabrication ont permis de dessiner des voiles à coupes radiales (et non plus horizontales) et d’obtenir ainsi des panneaux orientés dans la direction des efforts pour gagner en performance. Malheureusement ce gain en stabilité se faisait au détriment de la durée de vie affaiblie en raison de la sensibilité aux UV des tissus laminés et à la détérioration des colles au fil du temps.

La technologie 3DL a-t-elle constitué une innovation majeure ?

Au début des années 1990, la technologie 3DL reprend le principe des voiles tri-radiales en tissus laminés. La grande différence vient de la fabrication effectuée sur un moule ajustable reproduisant fidèlement le dessin conçu par une machine à commande numérique à la manière dont fonctionne une imprimante 3D. Le moule est alors drapé d’un film de Mylar et une tête vient déposer les fils de manière continue d’un point à un autre. Ce procédé permet d’éliminer les coutures et d’améliorer le contrôle de forme et le rapport poids/allongement. Grâce au moulage qui se substitue à l’assemblage manuel, il est alors possible de répliquer la voile à l’infini.

Nouvelle innovation en 2010 avec la technologie 3DL ?

A cette date et après l’avoir testé avec succès en situation de course sur un bateau de la coupe América, North Sails démarre la commercialisation de la technologie 3Di. Par rapport aux technologies antérieures de fabrication de voiles hautes performances, cette technologie composite filamentaire présente de multiples avantages : disparition du risque de délamination, plus grande résistance aux UV, profil plus stable à matériau équivalent, forme initiale de la voile conservée plus longtemps. Il s’agit cette fois d’une technologie composite où l’on vient draper sur un moule des filaments, étalés côte à côté sur des bandelettes. Ce processus autorise un mélange plus intime des fibres polyéthylène à très hautes performances Dyneema et Spectra.

Très résistantes à la flexion et à l’abrasion, ces fibres viennent compléter les autres fibres en polyamides et/ou en carbone extrêmement résistantes mais aussi plus fragiles. Il est ainsi possible d’exploiter le meilleur des deux mondes et d’obtenir une matière aux propriétés exceptionnelles qui se dégrade peu dans la durée.

Ces technologies profitent-elles aux navigants amateurs ?

Cette technologie se prêtait très bien aux gros bateaux de croisière. Progressant d’année en année, elle a été ensuite rendu accessible au plus grand nombre, sous différentes formes. Dernière évolution en date mise en œuvre au mois de juin 2017, l’introduction de la fibre polyester sur cette technologie composite 3 D apporte un gain supplémentaire en tenue de forme tout en réduisant sensiblement les coûts (50% moins cher que le très haut de gamme en carbone).

 

Sur quels axes de recherche allez-vous travailler ?

Nous avons encore une grosse marge de progression sur l’optimisation de notre procédé composite et le mariage filamentaire des fibres. Il reste aussi un gros travail à faire sur les adhésifs et les résines. Pour demeurer maîtres de nos procédés de mise en oeuvre, nous concevons nous-même nos propres machines et nous travaillons en collaboration étroite avec des fournisseurs de résine et de fibres à très hautes performances. Et même si nous contribuons activement à l’attractivité de leurs produits, nous ne sommes pour eux que des petits poucets avec parfois des difficultés à leur expliquer nos problématiques spécifiques souvent bien différentes de celles de leurs autres clients.

De quels moyens, disposez-vous pour votre R&D ?

Nous disposons d’un laboratoire équipé avec des machines de tests pour reproduire les épreuves subies par les voiles. Nous plaçons des capteurs sur les voiles pour mesurer les durées de charges, les fréquences de sollicitations. En l’absence de tests standards et de protocoles bien définis, notre objectif est de pouvoir qualifier en interne nos matériaux le plus finement possible.

 

Verra-t-on arriver de nouvelles matières dans un futur proche ?

Pour la technologie existante encore relativement jeune, nous essayons de surmonter les problèmes de contraction rencontrés avec le polyéthylène qui occasionnent un vieillissement prématuré de la forme de la voile. Avec nos fournisseurs, nous sommes à la recherche d’une fibre magique qui puisse être dotée des propriétés du polyéthylène sans en avoir cet inconvénient. Je ne crois pas que nous verrons arriver de matériaux révolutionnaires dans les 5 prochaines années même si l’on parle beaucoup du graphène aujourd’hui, une forme de carbone encore au stade des balbutiements.

© North Sails

POUR EN SAVOIR PLUS

https://northsails.com/sailing/fr/

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