Paroles d'expert 4 min

Pare-chocs en plastique recyclé chez Plastic Omnium

Rencontre avec Frédéric Viot, président de CREER et responsable éco-conception et recyclage chez Plastic Omnium.
Pare-chocs en plastique recyclé chez Plastic Omnium
Pare-chocs en plastique recyclé chez Plastic Omnium

Vous déclarez être les premiers au monde à avoir conçu des boucliers de voitures en plastique recyclé. Pourtant, n'y a-t-il pas déjà longtemps que ces plastiques entrent dans la conception des automobiles ?

Bien sûr et heureusement ! Mais jusqu’à ce jour, les pièces en plastique recyclé n’étaient pas visibles, pour ne pas dire cachées… On retrouvait ce matériau dans différents carters, des pièces techniques, des protections de passage de roues… Bref, des pièces qui n’entraient en rien dans le design de la voiture et qui apportaient peu de valeur ajoutée dans le domaine si cher aux journalistes automobiles : celui de la qualité perçue.

Quelle en est la raison ?

Elle est toute simple. Il était alors très compliqué, pour ne pas dire impossible, d’obtenir des pièces ayant exactement les mêmes caractéristiques que celles fabriquées à partir de résine vierge. Nous étions face à un mur. Soit les propriétés mécaniques étaient bonnes, soit l’aspect final était excellent, mais nous n’arrivions pas à avoir les deux à la fois. Nous avons fait des années d’essais et, au bout du compte, nous n’étions pas satisfaits. Bien souvent, une fois peintes, ces pièces révélaient de petits défauts d’aspect. Ils étaient certes invisibles pour le grand public, mais nous savions qu’ils seraient jugés inacceptables par les qualiticiens automobiles.

 

Et au final, êtes-vous parvenus à trouver la solution miracle ?

On peut le dire comme ça mais cela n’a pas été une mince affaire. Nous travaillons sur ce projet depuis bien longtemps puisque nous avons déposé un premier brevet en 2007. Plastic Omnium a cru avec raison en ce projet et n’a pas hésité à investir lourdement en recherche et développement pour arriver à ses fins.
Le résultat est à la hauteur de nos espérances, puisque nous sommes désormais les seuls au monde à proposer un plastique recyclé ayant des caractéristiques identiques aux matériaux vierges.

 

Quel est votre secret ?

Il a fallu dans un premier temps sélectionner les bons matériaux de base. Nous avons la chance d’être partenaire de Derichebourg, un des poids lourds de la collecte et du tri des matériaux usagés. Puis ça a nécessité beaucoup de travail avec des universitaires comme le laboratoire IMP de l’INSA ou l’Ensam de Chambéry. Ensemble, nous avons affiné le tri en optant pour les polymères qui nous semblaient les plus prometteurs. Ainsi, notre choix s’est porté sur des plastiques provenant d’automobiles récentes souvent accidentées, d’articles électroménagers, d’objets électriques ou électroniques en « fin de vie », et enfin sur des résidus de broyage automobile (RBA). Cette phase a été déterminante car nous nous devions d’assurer un suivi pour être absolument certains que notre nouveau matériau aurait toujours les mêmes caractéristiques au fil du temps. Tout est question de dosage et, sur ce point, nous sommes d’une extrême vigilance.

Mais cela n'explique pas tout ?

C’est vrai. Il nous a fallu comprendre comment, après avoir été lavée, broyée et extrudée, réagissait cette nouvelle matière première, notamment lors de l’étape du moulage. Pour la partie formulation, nous avons procédé par extrusion réactive, c’est-à-dire en « jouant » sur les spécificités chimiques de chaque matériau entrant dans notre mélange et des additifs. Quatre ans après nos premiers essais, nous avons fini par trouver la bonne formule qui, vous l’imaginez bien, est gardée précieusement secrète. Cela représente de longues années de recherche et plusieurs brevets. C’est pour cette raison que nous avons une belle longueur d’avance sur nos concurrents.

 

D'accord mais y a-t-il un marché pour ce nouveau polymère ?

Absolument, car, encore une fois, nous avons réussi le tour de force de créer un matériau à partir d’objets en fin de vie, qui est quasiment identique aux résines vierges. Peugeot a été le premier à nous suivre dans cette aventure. Et quand un constructeur automobile qui pousse son niveau de qualité aussi haut décide d’utiliser notre nouveau polymère, c’est qu’il répond en tout point à son draconien cahier des charges – résistance au vieillissement, absorption des chocs, aspect final… Aujourd’hui, le bouclier arrière de la toute dernière 208 est fabriqué avec ce nouveau matériau. Un an après le démarrage en série, Peugeot est fier d’annoncer que le taux d’utilisation de plastiques recyclés dans ses automobiles continue de grimper.

C'est bon pour l'image, c'est bon pour la planète... Mais est-ce rentable de développer une telle résine ?

Il faut comprendre que pour Plastic Omnium, il s’agit avant tout d’un investissement et d’un pari sur l’avenir. Aujourd’hui, ce matériau a un coût de revient légèrement supérieur à celui d’un matériau vierge. La solution passe par l’augmentation des volumes produits. Nous avons dans nos cartons de nombreux projets et autant d’applications possibles. Avec la hausse du prix du pétrole et les enjeux environnementaux, nous savons que nous détenons quelque chose d’innovant que nous sommes les seuls à avoir mis sur le marché pour le moment.

Ces perspectives sont-elles mondiales ?

Oui, et nous sommes assez puissants pour le faire savoir à tous les industriels susceptibles d’être intéressés par notre résine. Y compris en Asie !
En effet, les Asiatiques, et plus particulièrement les Chinois, qui s’étaient faits les champions du monde du recyclage des plastiques non triés, sont eux aussi en quête de qualité. En tirant vers le haut de gamme le plastique recyclé, nous suscitons l’intérêt de nombreuses industries qui y voient une façon de se donner une image plus verte mais aussi de trouver de nouveaux gisements de productivité.

 

Pensez-vous améliorer le système de collecte et de tri ?

Ce n’est pas notre premier métier, mais nous souhaitons néanmoins y contribuer. Pour cela, nous savons que nous pourrons nous appuyer sur Derichebourg et sur nos partenaires scientifiques. La possibilité de fabriquer un matériau haut de gamme à partir de plastique recyclé motive les collecteurs qui y voient une façon de valoriser leur métier tout en augmentant leur rentabilité. Nous participons à un très ambitieux projet PSPC (projet structurant les pôles de compétitivité) dont la finalité est de mettre en place les bonnes filières de collecte – tous secteurs industriels confondus –, afin que l’ensemble des matériaux réutilisables soient scrupuleusement triés et donc… réutilisés. Quant aux autres, nous poussons pour qu’ils soient valorisés énergétiquement et non plus enfouis. Nous nous donnons cinq ans pour arriver à ce résultat !

Frédéric Viot 

52 ans, 
Diplôme doctoral en chimie organique, 
4 ans de recherche pharmaceutique, 
20 ans environ dans l’automobile dont 10 plus particulièrement dans le recyclage et l’eco-conception (8 brevets et de nombreuses conférences, cours et publications)

 

Plastic Omnium

Plastic Omnium est composé de 2 divisions 
La division PO Automotive, leader mondial dans les pièces de carrosserie et de structure, les systèmes à carburant et de dépollution
La division PO Environnement, leader mondial dans les équipements et services pour la gestion des déchets et l’aménagement urbain.

CREER : Cluster Research : Excellence in Ecodesign and Recycling. 60 adhérents environ de tous secteurs industriels. Une dizaine de projets en cours avec pour objectif principal de transversaliser les bonnes pratiques en recyclage et éco-conception (site internet : http://www.clustercreer.com)

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