Pinarello impose le train
Pour les coureurs cyclistes, Pinarello est une marque mythique. Elle est cependant un peu moins connue du grand public. Quelle est son histoire ?
Cette marque a été créée par Giovanni Pinarello il y a plus de quatre-vingts ans. Il était lui-même un coureur au palmarès assez éloquent. Passionné de technologie, il a commencé à concevoir ses propres cadres et a donc naturellement créé sa marque et fondé son entreprise qu’il a installée dans sa région natale à Catena di Villorba dans la province de Trévise en Vénitie. A l’époque, les vélos étaient encore en acier et Pinarello s’était fait une spécialité de la soudure des tubes. En ce temps-là, la production était encore très artisanale. La consécration viendra dans les années 1960 quand l’un des vélos Pinarello remporta le Tour de l’Avenir.
C'était le début d'une longue série ?
Oui, car nous avons gagné le Tour d’Italie pour la première fois en 1975 et le Tour de France en 1988. Depuis, nous ne comptons plus nos succès. Enfin presque… Pour revenir au Tour de France, nous en avons gagné onze à ce jour, dont les deux dernières éditions. Il y a de quoi être fiers ! Aujourd’hui, nous sommes parmi les marques les plus reconnues pour leur capacité à innover. C’est pour nous une très longue tradition et dans bien des cas nous avons été précurseurs.
Avez-vous des exemples à nous citer ?
Nous avons un double credo : faire des vélos qui soient à la fois confortables et performants. Ainsi, nous avons été les premiers à fabriquer des cadres avec des tubes d’aluminium à section carrée ou rectangulaire afin de les rendre encore plus rigides. Tout le monde nous a suivis ! Cet exemple-là est très significatif de notre capacité à innover en nous affranchissant des conventions. Lorsque ce cadre est sorti, beaucoup de gens nous regardaient de haut, mais nous avons réussi à démontrer son efficacité et donc à imposer nos convictions en arguant que le progrès technique ne vaut que si sa pertinence se vérifie sur le terrain.
Vous avez aussi été les premiers à utiliser le carbone*. Comment ont été alors accueillis vos premiers cadres conçus dans ce matériau ?
Avec une grande curiosité et un très grand intérêt ! Nous étions alors à la fin des années 1980 et on parlait de plus en plus des fibres de carbone dans les industries de pointe. Même si elles étaient encore très onéreuses, nous nous y sommes très rapidement intéressés car nous y voyions un véritable matériau d’avenir. Au départ, nous nous sommes contentés d’assembler des tubes. C’était presque un retour en arrière étant donné qu’il nous a fallu dompter ce matériau qui ne se travaille pas du tout comme du métal. Heureusement, nous avons très vite appris et donc progressé ! Dès le début de l’aventure carbone, nous nous sommes rapprochés du japonais Toray, un des leaders mondiaux des matériaux composites. Même si nous n’atteignons pas les volumes de l’industrie aéronautique, je dois dire que les ingénieurs de chez Toray sont à notre écoute et nous proposent toujours des solutions qui vont dans notre sens.
En quoi cela a-t-il révolutionné vos cadres ?
D’abord, c’est un matériau très rigide et très léger, et ces deux points sont une nécessité pour gagner en performance. Mais contrairement à d’autres, ce n’est pas ce que nous recherchons coûte que coûte. Pour nous, l’important est le rendement. Si l’acier, bien qu’il soit plus lourd, permettait des vélos au meilleur rendement, nous continuerions à l’utiliser. Mais ce n’est pas le cas ! Le carbone a un avantage considérable parce qu’il se moule. Ce moulage réalisé à la main nous permet d’utiliser différents types de fibres plus ou moins rigides en fonction de ce que nous souhaitons faire. Aujourd’hui, les cadres sont monocoques, c’est-à-dire d’une seule pièce. Si l’on devait les passer à la loupe, on s’apercevrait que la quantité de matière n’est pas la même partout. Il est en effet inutile de renforcer des parties qui n’ont pas de fonctions structurelles. Dans le même ordre d’idées, nous avons encore été les premiers à proposer des cadres asymétriques.
Après de multiples études, nous nous sommes aperçus que les coureurs produisaient plus d’efforts du côté de la chaîne. En vue de rééquilibrer ces efforts pour un meilleur rendement, nous avons inventé les haubans et le châssis arrière légèrement asymétriques.
Le carbone autorise aussi toutes les formes, toutes les audaces et, je le rappelle, nous cherchons également à rendre notre vélo le plus confortable possible. Rendre un vélo plus confortable, et donc plus sûr, c’est lutter contre toutes les vibrations. Ainsi, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, nos fourches ont une forme légèrement ondulée pour mieux absorber les chocs. C’est aussi plus de sécurité car qui dit vibrations, dit perte d’adhérence et donc risque de chute. Seul le carbone permet de telles innovations.
Quel est le vélo du futur ?
Difficile à dire mais je suis certain qu’il sera encore constitué de fibres composites. Depuis plusieurs décennies, nous sommes à la pointe de l’innovation et nous souhaitons le rester. C’est pour cette raison que nous sommes sans cesse à l’affût de nouveautés et, aujourd’hui, nous ne voyons aucun matériau se profiler pour remplacer la fibre de carbone. Cependant, ces fibres continuent d’évoluer. Les dernières productions de chez Toray sont légèrement plus rigides, elles ont donc permis à nos cadres d’être encore plus nerveux. Désormais, les progrès marquent le pas car nous atteignons un niveau de maturité résolument excellent.
Enfin, quelles sont vos relations avec l'équipe Sky qui a gagné, avec vous, donc, les deux dernières éditions du Tour de France ?
Elles sont bien évidemment excellentes. Depuis quelques années, Sky est l’équipe professionnelle la plus en vue. Autant dire qu’elle intéresse grandement nos concurrents. Sky continue cependant de nous faire confiance et je pense que ce n’est pas un hasard. Nous avons la même philosophie, nous aimons chercher le petit plus qui nous rendra encore plus performant. C’est un véritable partenariat qui s’est opéré entre nous. L’équipe Sky est à notre écoute autant que nous sommes à la sienne. C’est ainsi que l’on avance. En 2012 et 2013, notre travail a été largement récompensé. Comme on dit, jamais deux sans trois… Réponse le 27 juillet à Paris, sur les Champs-Elysées.
Vous avez dit "Carbone" ?
*Le mot carbone tel que nous l’employons dans cet article est un raccourci linguistique. Le carbone n’est évidemment pas utilisé dans sa forme brute pour concevoir un cadre de vélo ou une tuyère de fusée. Pour les vélos présentés ici, il s’agit de l’assemblage d’une fibre de carbone (le renfort) et d’une résine polymère (la matrice). Ce couple carbone/résine appartient à la grande famille des matériaux composites.