Les plastiques, un argument béton dans la construction
Un peu de souplesse dans un cœur de pierre
Perdue depuis la chute de Rome jusqu’au début du XIXe, la formule du ciment – 80% de calcaire et 20% d’argile - a ouvert une prodigieuse carrière au béton.
Apprécié pour sa plasticité, il a d’abord fait le succès de la «pierre factice», d’une résistance à toute épreuve, une fois moulée sous forme de blocs, de canalisation et même de statues… Avant que l’avant-garde des architectes et des ingénieurs ne lui donne ses lettres de noblesse.
Rien alors n’a pu freiner son ascension. Pas même les excès du « bétonnage » ! Urbanisation oblige, le béton reste, de très loin, le matériau roi de la construction.
D’autres produits à base de ciment y ont également trouvé leur place. Surtout comme matériaux d’interface : ciments-colles, mortiers d’assemblage, de jointoiement ou enduits de surface…
Formulés désormais en usine, tous ces produits cimentaires sont issus d’une chimie complexe où les polymères organiques jouent un rôle essentiel. Aussi discrets qu’efficaces, les plastiques leur ont ouvert des possibilités techniques inimaginables auparavant.
Quand les plastiques dopent le béton
Aujourd’hui, le béton ne détone plus dans le paysage. Il étonne. Sa remise en forme a commencé, il y a une quinzaine d’années. Au programme : régime amincissant, exercices intensifs… Et une cure de polymères aux effets anabolisants ! Des « superplastifiants » (polyacrylates ou de polycarboxylates) pour affiner la musculature … Et, pour renforcer l’ossature, des microfibres de verre, de métal ou de polymères, en lieu et place des anciennes armatures.
Le résultat, c’est le «béton fibré à ultra hautes performances» - nom de code BFUHP -, un athlète des chantiers qui collectionne les trophées comme le viaduc de Millau, en France, ou les moucharabiehs en béton de l’aéroport de Rabat.
Bien moins poreux, grâce aux adjuvants plastiques, et fort de sa nouvelle armature de microfibres (50 millions par m3), BFUHP affiche une résistance mécanique, six à huit fois supérieure à celle du béton traditionnel.
Autre avantage, ces polymères « superplastifiants », pourtant dosés avec parcimonie – moins de 5% - allègent considérablement la composition du béton et, ainsi, son impact environnemental. Ce qui permet de construire des structures quatre fois moins volumineuse avec moins de granulats (-25%) et de ciment (-33%).
Malgré cette frugalité qui autorise toutes les audaces, ces bétons sur-mesure ne sont pas encore à la portée de tous les chantiers. Heureusement, des solutions standardisées, plus abordables, arrivent sur le marché.
Quand les polymères mettent le béton en lumière
Alors que certains s’évertuent à alléger le béton pour rendre les architectures plus graciles, d’autres rêvent d’en faire un matériau translucide. Le plus étonnant, c’est que leur chimère a vu le jour.
Pionnier en la matière, Will Wittig, de l'université de Detroit-Mercy a conçu des panneaux en béton translucide de 2,5 mm d’épaisseur en y intégrant des fibres de verre… Sympa pour la déco mais inutile pour les structures porteuses !
Avec son «LiTraCon», l’architecte hongrois Aron Losonczi a eu plus de succès. Son béton chargé de fibres optiques conduit la lumière à travers des blocs épais de 20 cm. Dans la foulée, sa société a même mis au point une variante à particules plastiques, d’un prix plus abordable.
Adepte d’une solution mixte, l’entreprise autrichienne Luccon a, quant à elle, mis au point un béton translucide à hautes performances en associant la fibre optique et les polymères de BASF.
Le groupe Italcementi, pour sa part, a misé uniquement sur des résines thermoplastiques pour mettre au point le béton des façades translucides du pavillon italien de la World Expo 2010 de Shanghai, conçu par l’architecte Giampaolo Imbrighi.
Dernière folie en date, le Chronos Chromos Concrete des étudiants du Royal College of Art, à Londres, est un véritable écran. Son béton cellulaire, truffé de polymères thermosensibles et de connections électroniques, est capable de changer de couleur et d’afficher des formes.
Bientôt du plastique recyclé dans le béton
Matériau clé du développement, le béton est une bénédiction mais aussi, pour certains, un fléau qui se propage au rythme de 6 milliards de m3 chaque année. D’où l’intérêt des solutions visant à réduire son impact sur l’environnement : consommation excessive d’énergie, d’eau et de ressources minérales ou émissions de CO2.
L’une des voies envisagées consiste, par exemple, à remplacer les agrégats du béton par des matériaux recyclés. Bref à alléger sa charge minérale sans affecter sa résistance. Dans cette optique, les chercheurs de l'Académie slovaque des sciences ont récemment testé l’adjonction de plastiques issus d’équipements électroniques usagés.
L’analyse du comportement physique de différents mélanges a permis de lever un premier obstacle : le défaut d’adhérence des particules de plastique recyclé, trop lisses, à la pâte cimentaire. Grâce à un traitement de surface préalable, on peut désormais les incorporer, sans problèmes, jusqu’à 25% dans le mélange.
Reste maintenant à étudier la durabilité de ces bétons à base de plastique recyclé, en situation. Si les tests sont concluants, ils pourraient alors devenir une alternative rentable pour valoriser 15% des déchets d’équipements électriques et électroniques.