Chimie et textile filent le parfait amour
Le textile, une filière avide de nouveaux polymères
Initiée à la fin du XIXe siècle, l’alliance de la chimie et de l’industrie textile a permis de satisfaire une demande croissante.
L’utilisation des seules fibres naturelles est en effet contraignante, à cause d’une production parfois aléatoire, en quantité comme en qualité.
La mise au point de fibres artificielles aux fils plus réguliers, comme la viscose puis, à partir des années 40, de fibres synthétiques issues du pétrole, ont permis de lever ces obstacles en diversifiant les textiles et leurs propriétés et ce, à moindre coût.
Dans la perspective d’une population mondiale de 8 milliards d’habitants à l’horizon 2025, cette même logique justifie une production soutenue de fibres synthétiques. Le défi actuel, cependant, n’est plus de produire toujours plus d’acrylique, de polyester, de polyamide ou de nylon…
Pour rester dans la course, les industriels doivent concevoir de nouvelles fibres répondant aux nouvelles attentes du public liées à la mobilité, à la santé et au bien-être. Peu importe donc que ces fibres soient naturelles, synthétiques, bio-sourcées ou mélangées, pourvu qu’elles s’avèrent multifonctionnelles, peu gourmandes en énergie et en matières premières, et mieux encore recyclables…
Fibres artificielles ou synthétiques : quelle est la différence ?
Les fibres textiles « artificielles » sont obtenues par extrusion de polymères issus de matières naturelles comme la cellulose avec laquelle on produit l’acétate, la viscose ou le Lyocell. De ce point de vue, ils sont comparables aux plastiques dits « biosourcés ».
Les fibres synthétiques ou chimiques comme l’acrylique, le polyester et le polyamide sont aussi obtenues par extrusion à partir de polymères issus généralement du pétrole. Certaines fibres synthétiques sont parfois biosourcées comme le polyester fabriqué aussi à partir d’éthylène dérivé de la canne à sucre.
De quels tissus l'avenir sera-t-il fait ?
Le textile, comme son industrie, ont toujours privilégié la mobilité. Ses usines, de la filature à l’atelier de confection, migrent au gré des opportunités.
Fleurons de la filière textile aux premiers temps de la société de consommation, les fibres synthétiques œuvrent désormais à la prospérité des pays émergents.
Pourtant, les vieux bassins industriels ont peut-être trouvé la parade pour remobiliser un secteur profondément déstabilisé par la mondialisation. Quitte à abolir les frontières, pourquoi ne pas étendre aussi le champ des technologies ? C’est ainsi que, sans renoncer à son alliance historique avec la chimie, l’industrie textile mise désormais sur les nanomatériaux et les technologies de l’information. Objectif : ajouter aux textiles de nouvelles propriétés, non plus seulement grâce à des traitements de finition mais, dès l’élaboration ou le tissage des fibres voire avant, lors de la mise au point des polymères.
Les interactions des textiles avec le corps humain constituent l’un des axes de développement prioritaire pour ces textiles fonctionnels. La plupart des pôles de recherche européens collaborent d’ailleurs à des projets communs sur la polysensorialité et le bien-être lié au sport, à la mobilité, à la santé ou au vieillissement.
Le textile européen dévoile ses nouveaux atouts
L’inauguration conjointe, à Lille, en 2012, de la troisième exposition Futurotextiles, avant son départ pour la Cité des Sciences, à Paris, et du nouveau Centre Européen des Textiles Innovants (CETI), à Roubaix, n’est pas le fruit du hasard.
Cette exposition itinérante, créée au cœur d’une région particulièrement affectées par la crise de cette industrie, a été conçue, en effet, comme la vitrine du renouveau du textile européen, dans les domaines de la mode, du design et des technologies. Sa collection d’objets textiles illustre, sur un mode futuriste, les tendances du marché qui s’expriment, année après année au salon Techtextil, de Francfort, la grand-messe internationale du secteur.
Un même crédo sur les deux rives du rhin
Des deux côtés du Rhin, ingénieurs et designers rivalisent de virtuosité pour combiner les fibres, les technologies et les matériaux innovants, avec le même crédo. La légèreté et la recyclabilité pour les textiles techniques destinés à l’habitat et aux transports. Le souci de soi pour le vêtement, au sens le plus large – lingerie, habillement, technique, sportif ou médical – qui privilégie désormais les interactions entre le corps et son environnement.
Mais, élégance oblige, la discrétion est toujours de mise. Impossible de visualiser les patchs, microfibres et autres procédés d'encapsulation à vocation cosmétique, antibactérienne ou thermorégulatrice des textiles exposés sur les stands de Techtextil 2013 ou dans les vitrines de Futurotextiles 3...
Quand les stylistes ne jouent pas le détournement, comme Yohji Yamamoto, avec sa robe gonflable en vinyle ou Gina Lee avec son tissu à mémoire de forme, ils n’hésitent pas à magnifier les fonctionnalités de ces textiles innovants. En témoigne, la robe photocatalytique conçue par Helen Storey dont le textile son textile en polyester et soie imprégné de sable, de ciment et de dioxyde de titane repousse les particules polluantes de l’air ambiant.
Les nanomatériaux au cœur des fibres...
Les nanotechnologies permettent d’ajouter de nouvelles fonctionnalités au textile de différentes manières. La nano-enduction de microcapsules à membrane polymère remplies de substance est, de loin le procédé le plus courant, notamment pour fabriquer des cosmétotextiles.
Annoncé dans les années 90, ce mariage de la mode et de la beauté a pourtant eu du mal à s’imposer. L'échec des pionniers, comme Hermès avec son carré de soie parfumé ou Dim avec ses collants hydratants, avait semé le doute.
Mais, à mesure que l’éventail des principes actifs microencapsulables s’est élargi, le concept a séduit la clientèle féminine. Il s’est étendu à d’autres textiles portés à même la peau : legging ou jean amincissant, body hydratant, brassières "repulpantes"
Initialement appliquée à des textiles semi-finis, au stade de la finition, la nano-enduction s’est peu à peu sophistiquée avec la microencapsulation des fibres, avant le tissage.
Aujourd’hui en pleine croissance, le marché voit émerger une troisième génération de cosmétotextiles contenant des microcapsules intégrées lors de l’extrusion des fils artificiels ou synthétiques. Cette technique assure notamment une diffusion plus durable après lavages. En intégrant également des oxydes minéraux, elle permet d’offrir, en plus, des effets protecteurs ou correcteurs pour le bien-être ou la silhouette, sur le modèle des textiles dits « bio-actifs » destinés à la santé et au sport.
Polymères actifs pour vêtement climatisés
L’intérêt des industriels pour les textiles auto-rafraichissants est-il le signe qu’ils anticipent le changement climatique ? Possible ! En tout cas, Damart, pionnier des textiles thermorégulants a misé sur ce créneau. « Trop chaud, moi, jamais ! » est le nouveau slogan choisi en 2013 pour le lancement de son T-shirt Océanis. Des millions de microparticules de xylitol greffées sur ses fibres agissent comme autant de bulles de fraîcheur. Quand la température du corps s’élève, la transpiration dissout la substance en provoquant une réaction d’absorption de la chaleur.
Pour obtenir ce type de réaction, d’autres fabricants comme l’américain Outlast misent sur le filage de fibres bi-composants. Cette technique consiste à extruder différents polymères sans les mélanger pour combiner leurs propriétés respectives.
Elle permet aussi d’intégrer à l’âme d’un fil de viscose, d’acrylique ou de polyester, des matériaux à changement de phase (PCM) capables, selon la température ambiante, de stocker ou de restituer la chaleur, sans recourir à l’enduction de microcapsules. Plus radicale encore dans cette logique, l’entreprise Sofileta a développé, avec la société belge Luxilon Industries, une fibre révolutionnaire dont les propriétés rafraichissantes ne reposent ni sur l’ajout de matériaux à changement de phase (PCM) ni sur la composition du filament mais sur la structure du polymère de base. Grâce à l’alternance de ses molécules hydrophobes et hydrophiles qui assurent simultanément l’évaporation de la transpiration et la conductivité thermique, celui-ci fonctionne comme une pompe absorbant l’humidité du corps en dégageant de la fraîcheur.
Ce polymère donne des fils aptes au tricotage d’équipements de sport qui, après les essais en laboratoire, ont été testés avec succès par des tennismen et des cyclistes professionnels.
Des combinaisons gagnantes pour les vêtements de sport
Principal vecteur de la vogue des tissus « stretch », l’élasthanne a séduit le marché des vêtements de sport grâce à son élasticité.
Dans la foulée, les fabricants ont développé des tissus bi-élastiques. Leur principal atout : une capacité d’allongements multidimensionnels qui permet d’épouser encore mieux les mouvements du corps. À l’effet « seconde peau » très appréciable
Au-delà du confort, ces textiles présentent des propriétés utiles en termes de performances. Grâce à la compression musculaire, ils stimulent la circulation sanguine et améliore l’oxygénation. D’où un bénéfice durant l’effort et lors de la récupération. Autre avantage, ils assurent un meilleur maintien musculaire. Ce qui réduit les vibrations, et donc la déperdition d’énergie et les risques de micro-lésions.
D’autres polymères permettent de combiner l’action bénéfique de la compression musculaire avec les propriétés de la bio-céramique. La société HT Concept a mis au point une membrane bi-élastique en polyuréthanne chargée de microparticules métalliques d’origine volcanique qui captent les rayonnements infrarouges. Associée par enduction au textile, elle est ensuite appliquée selon la méthode de body-mapping pour cibler les zones du corps les plus sollicitées.
Le non-tissé à fleur de peau !
Utilisé depuis longtemps pour confectionner des chapeaux ou des yourtes mongoles en feutre, le principe du non-tissé a connu un renouveau étonnant grâce aux fibres synthétiques. Solution radicale pour raccourcir les étapes de transformation de la fibre, il permet d’obtenir sans tissage ni maillage mécanique « un voile de fibres liées par friction, cohésion ou adhésion. »
Destinés principalement à la fabrication des produits jetables pour l’hygiène, les soins médicaux ou la filtration, les non-tissés aspirent à devenir plus durables. Environnement oblige ! Le BTP et la filière des composites les utilisent déjà pour renforcer les structures ou comme revêtement. Mieux encore, des non-tissés réfléchissants à base de nanofibres permettent d’accroître de 40% la réflectivité des éclairages publics. D’autres, à base de fibres dites «fragmentées» ont un effet «velcro » qui facilite la fixation sur les surfaces.
Ultime consécration, avec les fibres de taille submicroniques, des non-tissés ont fait leur entrée sur le marché de l’activewear pour fabriquer des vêtements souples et respirant qui se portent à même la peau.
Le succès net et sans couture !
L’avènement des fibres synthétiques dans l’industrie textile n’a pas seulement permis d’optimiser les procédés de filature, de tissage... Ils ont également révolutionné la confection même des vêtements.
Moins radicales que le non-tissé, les techniques sans-couture permettent par exemple de fabriquer des tee-shirts et des pulls en forme de tube, sans couture sur le côté. Dans le domaine industriel, on utilise principalement des métiers à tisser circulaires permettant de fabriquer des tubes de section variable.
Deux autres techniques permettent de fabriquer des articles sans couture. La première méthode, utilisée pour fabriquer des sous-vêtement, consiste à utiliser les ultrasons : le phénomène vibratoire de l’onde provoquée par le son, converti en chaleur, permet d’assembler les pièces entre elles.
La seconde méthode utilise le thermocollage : cette technologie permet de supprimer les élastiques en offrant des bords coupés à franc, afin de rendre les sous-vêtements invisibles. Une qualité qui a sans doute favorisé l’engouement pour ce type de produit.