Les polymères au cœur des secrets de champions

Marie Dorin-Habert et Vincent Defrasme sont deux champions de biathlon. Chacun a une carrière bien remplie avec quatre médailles olympiques ainsi que cinq titres mondiaux pour Marie et la participation à trois olympiades couronnée par une médaille d’Or à Turin en 2006 pour Vincent. Aujourd’hui retirés du haut niveau, ils évoquent l’importance du matériel dans leur sport.

Quelle est la part du matériel dans la performance ?

Le biathlon est un sport qui combine le ski de fond et le tir à la carabine. Nous devons être capables de skier vite et d’avoir un tir précis. Il est donc évident que le matériel est déterminant en plus de notre force musculaire et de notre habilité au tir. C’est d’autant plus vrai à haut niveau où la différence entre les athlètes se joue à trois fois rien, un ensemble de détails qui intègre le choix du matériel. Nous exigeons un niveau maximum de fiabilité et de technicité pour ne pas être pénalisés et surtout qu’il n ‘entrave en rien la performance.

C’est d’autant plus vrai pour les skis ?

Oui mais pas seulement ! Mais commençons par les skis. Cela se sait peu mais un athlète en Coupe du monde dispose de vingt à quarante paires pour pouvoir choisir la paire qu’il va utiliser le jour J et ce choix se fait 1 heure avant le départ pour être au plus près des conditions de glisse du jour. Un ski n’est pas une simple planche. Il est constitué d’un noyau, d’une âme et d’une semelle. Dans les skis de compétition, le noyau est une structure de type nid d’abeille en nomex, un aramide stable et rigide, l’âme est généralement un composite de carbone de résine époxy qui garantit une très bonne rigidité et étanchéité.

Quant à la semelle, elle est quasiment la partie la plus importante car c’est elle qui est en contact avec la neige, il est donc important qu’elle glisse bien. Elle se compose d’un polyéthylène extrudé ou aggloméré. Le polyéthylène aggloméré est généralement préféré car il permet d’obtenir une semelle plus dure et surtout plus poreuse qui absorbera mieux le fart (pâte à base de paraffine dont est enduite la semelle pour améliorer sa glisse). Pour bien glisser, les semelles sont creusées de fines rainures qui, comme un pneu de voiture, favorisent l’écoulement de l’eau car. Ce qui fait la glisse, c’est le fart et plus particulièrement ses propriétés hydrophobes qui transforme l’eau de la neige en micro gouttelettes sur lesquelles le ski « roule ». La nature de la semelle doit être adaptée à la texture de la neige du jour ainsi qu’à sa température. Il n’existe pas de skis de compétition polyvalents, c’est la raison pour laquelle nous disposons de plusieurs dizaines de paires.

Ensuite, reste à assembler correctement toutes ses composantes en rigidifiant plus ou moins certaines parties du ski en fonction des qualités attendues et de la façon de skier des athlètes. Cela donnera des skis plus ou moins nerveux, capables de glisser correctement dans les phases actives de patinage par exemple mais également dans celles passives de descente.

A l’instar des skis, les chaussures sont-elles également déterminantes ?

Énormément ! Elles sont la courroie de transmission entre le ski et l’athlète, c’est donc par elles que passe toute la puissance musculaire. Nous avons vécu l’arrivée des composites à base de carbone et d’époxy. C’était une évolution énorme, grâce à ce matériau, les chaussures sont devenues plus légères et plus fines mais aussi plus rigides donc plus « nerveuses ». Revers de la médaille, cette rigidité pouvait entrainer des fractures de fatigue chez certains athlètes. Ce n’est évidemment pas terrible lorsqu’elles arrivent en pleine saison. Les fabricants les ont donc améliorées en utilisant le carbone uniquement dans des zones stratégiques favorisant la poussée sans compromettre le confort. Le reste est constitué de polymères de natures différentes comme le polyuréthane ou l’EVA (éthylène-acétate de vinyle).

Les chaussures sont généralement recouvertes d’une sorte de house parfaitement étanche souvent en PVC. Le confort est à ne pas négliger car les courses peuvent durer plusieurs heures. Les chaussures sont désormais assez confortables et chaudes grâce aux matériaux synthétiques comme le polyester. Et puis, nous avons nos petits trucs (dixit Vincent). Un des mes entraineurs avait eu l’idée de glisser une petite cale de plastique sous mes orteils pour les surélever. Cette cale permettait à mon tibia de s’orienter vers l’avant pour gagner un peu de puissance sans nuire au confort. Cela a été un secret bien gardé durant longtemps…

Les carabines ont-elles évoluées de la même façon ?

Non assez peu et encore aujourd’hui elles sont constituées de bois et de métal. Les plastiques sont assez peu présents. Quoi que… ils ont tout de même apporté un petit plus grâce à l’ingéniosité de Jean-Pierre Amat, une des entraineurs de l’Équipe de France. Il a en effet conçu des petites pièces de plastique qu’il venait coller sur la carabine. C’était un appui supplémentaire sur le haut et dans le creux de l’épaule. Cela nous permettait d’avoir un repère fixe pour bien caler la carabine sur l’épaule. C’est tout simple mais ça n’existait pas. Son idée a été reprise très rapidement par tout le circuit !

Pour en terminer avec le matériel, qu’en est-il des vêtements ?

Dans l’univers de la compétition, c’est le confort qui prime, les vêtements ne doivent en aucun cas entraver le mouvement. C’est pour cette raison que tous nos équipements sont en synthétiques car ce sont des matériaux extrêmement souples. Ils sont composés de polymères comme le polyester, le polyamide, l’élasthanne. Ce dernier a d’ailleurs un fort avantage car il est moins transpirant que les autres.

Les membranes en Gore-Tex (polytétrafluoroéthylène (PTFE)), ont été également une innovation majeure car elles sont imperméables à l’eau tout en laissant passer la vapeur d’eau issue de la transpiration. Nous disposons de plusieurs équipements car ils doivent couvrir une large plage de température. Le froid est notre ennemi. On peut rater une course parce qu’on a froid aux doigts. On perd en sensibilité pour exécuter le tir correctement. Ça arrive très souvent ! D’où l’intérêt d’avoir des gants pas trop épais mais suffisamment quand même pour conserver la chaleur. Les matières synthétiques remplissent assez bien ces conditions même si nous pensons qu’il y a encore certainement une marge de progrès.

Quels sont vos rapports avec les équipementiers ?

Tout dépend du niveau de l’athlète. S’il est « médaillable », l’ensemble de son matériel sera fait sur mesure en fonction de ses propres gestes techniques (technique de glisse, puissance, position sur le pas de tir…). Bien que nous développions ensemble nos équipements, les marques dévoilent assez peu leurs secrets car elles craignent toujours qu’un athlète passe à la concurrence.

Pensez-vous que le sport de haut niveau soit compatible avec l’environnement durable ?

Il devrait l’être ! Du temps où nous courrions, ce n’était pas vraiment un sujet qui préoccupait grand monde. Les mots empreintes carbones écoconception étaient quasi inconnus ou de vagues concepts… Mais c’est moins vrai maintenant, les choses évoluent et c’est tant mieux. La Fédération française de ski tente de limiter les transports en avion mais ca reste assez léger. Idem pour les skis qui étaient jetés en fin de saison, aujourd’hui, ils sont distribués dans des clubs et sont utilisés par de jeunes espoirs. Aujourd’hui, nous sommes tous pour l’éco-conception et les compétiteurs sont prêts à opter pour du matériel éco-conçu. Mais pour qu’elle soit acceptée, il faut que toutes les équipes jouent le jeu pour que nous soyons tous sur un pied d’égalité si parfois le matériel s’avérait moins performant. Ce qui n’est pas prouvé par ailleurs. Idéalement, il faudrait que la Fédération internationale de ski impose des normes d’éco-conception.

 Quelle vie après le sport de haut niveau ?
 

Marie Dorin-Habert a créé avec d’autres skieurs de hauts niveaux Zecamp, un « hôtel à valeur sportive ajoutée » ou chacun peut notamment s’initier au biathlon.
https://zecamp.fr/

Vincent Defrasne a lancé Ayaq, sa marque made in Europe, de vêtements Éco-responsables et techniques dédiés aux activités de plein-air.
https://ayaq.com/