Les plastiques biosourcés sont l’une des solutions pour décarboner notre industrie
Vous êtes senior innovation manager, quel est votre rôle au sein de Vaude ?
Nous cherchons à avoir un impact totalement neutre sur l’environnement et savons que cela passe notamment par la décarbonation de nos produits, et plus généralement de notre industrie. Notre objectif est très concret, puisque nous estimons que d’ici 2024, 90% de nos productions contiendront plus de 50% de matériaux recyclés ou biosourcés. 2024, c’est demain, et nous travaillons ardemment pour y parvenir. Mon rôle est scientifique et technique, puisque je suis en charge de l’évaluation de nouveaux matériaux, principalement textiles, pour y parvenir. Parmi ceux-ci, les biosourcés figurent en très bonne place.
Justement, quel est votre point de vue sur les matériaux biosourcés ?
De quoi parlons-nous ? Dans notre secteur d’activités, nous pouvons utiliser des matériaux biosourcés non transformés chimiquement et donc entièrement naturels, comme le coton biologique, le chanvre ou le kapok. Les matières premières d’origine animale, telles que le duvet, la laine mérinos ou le cuir, peuvent également être de la partie. Ensuite, il y a les bioplastiques, des polymères conçus chimiquement à partir de matériaux renouvelables comme la fibre de bois, l’huile de ricin, la canne à sucre. Ils sont une alternative intéressante aux polymères pétrosourcés car ils participent à la décarbonation de notre industrie.
Mais je pense qu’il faut aller encore plus loin, l’origine « bio » d’un produit ou d’un matériau n’étant pas suffisante pour affirmer qu’il est durable. Il faut analyser son cycle de vie en s’intéressant notamment à son origine : comment est-il produit, nécessite-t-il beaucoup d’eau, des pesticides, etc. ; ainsi qu’à sa gestion en fin de vie : est-il compostable, recyclable ?
Selon vous, les bioplastiques sont-ils préférables aux plastiques recyclés ?
Je pense que les plastiques recyclés deviendront majoritaires, mais ils ne pourront pas tout. Non seulement parce qu’ils ne sont pas recyclables à l’infini – ils perdent certaines de leurs propriétés au cours des différents cycles –, mais surtout parce qu’ils ne seront pas produits en quantité suffisante pour répondre à la demande toujours croissante de polymères dans le monde. Il sera toujours nécessaire de produire des matériaux vierges. Pour les rendre plus neutres, il faut trouver des substituts afin de s’affranchir du pétrole et du gaz. C’est là que les polymères biosourcés entrent en jeu. Pour répondre franchement à votre question, il n’est pas judicieux d’opposer les plastiques recyclés aux plastiques biosourcés. Ils sont complémentaires !
Quels polymères biosourcés utilisez-vous et quelles sont leurs applications ?
Il y en a plusieurs. Certains sont très connus, d’autres moins, comme le s.Café®. Il s’agit d’un polymère qui a pour base le marc de café dont on extrait une huile puis un polyol, un élément chimique indispensable à la fabrication du polyuréthane. Grâce à cette technologie innovante, nous remplaçons jusqu’à 25% du polyuréthane conventionnel par ce s.Café®.
Ce matériau biosourcé, au même titre que du PET recyclé, entre dans la composition de nos membranes imperméables et respirantes Ceplex Green. Elles ont pour fonction de rendre étanches au vent et à la pluie nos vestes de montagne. Nous sommes particulièrement heureux du résultat obtenu car ces membranes sont très efficaces. |
Les polyamides sont présents dans un nombre important de nos produits. Nous avons testé presque tous les types de polyamides biosourcés disponibles sur le marché et avons trouvé que le polyamide 6.10 avait des propriétés intéressantes. Il peut notamment s’utiliser comme un polyamide conventionnel, puisqu’il est aussi performant. Il s’agit d’un polyamide à base d’huile de graines de ricin produit par Evonik et nommé Vestamid Terra HS (PA 6.10). Nous avons été les premiers à l’utiliser.
Le ricin est une plante parfaite car elle est réellement « durable » : elle ne nécessite pas d’intrants chimiques pour pousser ni d’irrigation artificielle. Elle se cultive dans des zones sèches qui ne conviennent pas à d’autres types d’agricultures. C’est un aliment très populaire chez les chenilles, mais non comestible pour les humains et les autres mammifères. On ne parle donc pas de culture vivrière. Nous utilisons le polyamide 6.10 depuis 2018 et, pour l’intégrer en quantité satisfaisante, nous avons dû repenser l’ensemble de l’organisation de notre chaîne d'approvisionnement.
Ce fut un énorme travail, mais les enseignements ont été riches car nous pouvons désormais produire une grande quantité de vêtements à base de ce polyamide biosourcé. C’est un pas de plus vers nos objectifs de 2024.
Nous nous servons également du polyuréthane thermoplastique biosourcé (TPU) de Covestro pour nos chaussures de randonnée, et plus particulièrement pour la semelle intermédiaire. Celle-ci est placée à l’embout avant et arrière de la chaussure. A l’avant, elle amortit les chocs contre les rochers et les cailloux ; à l’arrière, elle participe à la stabilité de la chaussure, qui doit être ni trop souple ni trop rigide. |
Cette semelle est un mélange d’EVA biosourcé (le plus souvent à base de canne à sucre) et de TPU biosourcé. Trouver ce dernier a été un vrai défi car notre cahier des charges interdit l’emploi de matières agricoles génétiquement modifiées (OGM).
Or, le propanediol 1,3, l’un des éléments chimiques du TPU, peut être extrait de l’huile de palme issue très souvent de plantes génétiquement modifiées. Nous ne voulions prendre aucun risque et, après de longues recherches, nous avons fini par trouver un fournisseur capable de produire du propanediol à base d’huile de cuisson usagée. Il s’agit de Metabolic Explorer, une start-up française qui fournit désormais cette molécule à Covestro pour en faire son bioTPU. Là encore, le résultat final est à la hauteur de nos attentes.
Les plastiques biosourcés sont parfois critiqués car ils peuvent provenir de ressources alimentaires.
Etes-vous vigilants sur ce point ?
C’est une question très large qui fait, je crois, de moins en moins débat, car il y a consensus pour dire que si l’on veut assurer la sécurité alimentaire du monde entier, il ne faut pas transformer les terres de cultures vivrières en terres de cultures destinées aux biocarburants et aux bioplastiques.
Concernant les bioplastiques, les superficies de terres agricoles qui leur sont consacrées sont dérisoires. Cela dit, elles existent, mais comme le dit si bien le Nova-Institute, un institut de recherches indépendant qui travaille à la transition de l’industrie chimique des matériaux vers le carbone renouvelable, le matériau idéal n’existe pas ! Toutes les matières premières ont des avantages et des inconvénients.
Pour en revenir aux bioplastiques, je pense que leur « culture » doit se faire sans déforestation et en évitant les changements d’affectations des terres. Je suis souvent surpris par les réactions du grand public, voire de certains hommes politiques face à ces sujets que tous ne maîtrisent pas. Les discussions sont difficilement constructives, car souvent sous le sceau de l’émotion. Il serait, j’imagine, intéressant de mieux informer les populations avec des données objectives.
Effectivement… pour en savoir plus sur les plastiques biosourcés, voir notre article Vous avez dit "Biosourcés" ? et pour connaître la politique environnementale de Vaude : VAUDE CSR-Report – Integrated Sustainability Strategy