Les plastiques ont le bras long
Pouvez-vous nous parler de votre activité ?
Nous avons l’habitude de dire que nous sommes présents dans toutes les machines qui bougent. Dans les faits, nous concevons des pièces qui entrent dans la fabrication de toutes sortes de machines. Bien que la majorité des éléments que nous fabriquons ne soient pas forcément visibles, ils contribuent grandement à l’efficacité des machines qu’ils équipent. Nos paliers par exemple – des sortes de tubes dans lesquels s’insère un axe pour en faciliter la rotation – sont présents dans des machines depuis des siècles, mais jusqu’aux années 1960, ils étaient en métal et nécessitaient d’être régulièrement lubrifiés pour en ralentir l’usure. Profitant du boom des plastiques et du moulage par injection, Günter Blase, un jeune entrepreneur allemand, eut l’idée d’en créer un en plastique. L’objectif était de s’affranchir des contraintes du métal en proposant un matériau moderne, sans entretien et résistant à l’usure.
Le succès fut immédiat. Depuis 1964, igus n’a cessé d’innover en s’intéressant de très près aux polymères. Ce n’est pas pour rien que notre slogan est : « Les plastiques pour la vie. »
Quels types de pièces fabriquez-vous aujourd’hui ?
Nous avons près de 100 000 références ! Le cœur de notre marché se situe autour de pièces qui subissent un fort frottement, comme les rotules, les roulements, les paliers… Nos composants sont tous conçus à partir de différents polymères. Ce sont des matériaux économiques, qui ne nécessitent pas d’entretien et qui durent très longtemps. Ce dernier point est primordial et fait notre force. Depuis quelques années, nous avons acquis une jolie réputation pour la qualité de nos chaînes porte-câbles. Ce sont des pièces destinées à protéger un câble reliant des éléments mobiles. Cette réputation flatteuse n’est pas liée au hasard, car avant de commercialiser quoi que ce soit, tous nos éléments sont testés durant des centaines d’heures. Pour l’anecdote, nous nous sommes aperçus que nos porte-câbles étaient bien plus résistants que les câbles qu’ils protègent.
Cela nous posait donc un problème que nous avons résolu en mettant au point nos propres gaines de câbles à partir d’un polymère de notre conception.
Pouvez-vous nous parler de ces polymères ?
Nous ne communiquons jamais sur la nature des polymères que nous utilisons, qu’ils soient créés par nous ou pas… C’est notre secret professionnel et nous le gardons précieusement. C’est également pour cette raison que nous ne déposons jamais de brevets lorsque nous élaborons un nouveau polymère : en effet, nous savons qu’un jour ou l’autre nos concurrents pourront s’y plonger et transformer en toute légalité la nature de nos matériaux en y ajoutant un peu de ceci ou un peu de cela. Ils seraient inattaquables et profiteraient des années de recherche que nous avons financées. Tout ce que je peux dire, c’est que nous sommes de fervents adeptes de l’amélioration continue et cherchons depuis toujours à mettre au point des plastiques optimisés pour résister à l’usure liée aux frottements. Dans notre jargon, nous leur avons même donné un nom : les triboplastiques. Par exemple, notre palier universel l’iglidur G existe depuis plus de trente ans.
Il est le plus utilisé de tous nos paliers et présente certainement la gamme la plus complète au monde. Cette année, nous avons présenté l’iglidur G1, qui a une durée de vie environ deux fois supérieure pour un prix quasiment identique. Ce nouveau matériau sera bientôt intégré dans le calculateur de durée de vie, accessible librement sur notre site internet. Il faut tout de même savoir que nous testons tous les ans approximativement cinq cents nouveaux mélanges de polymères…
Actuellement on parle de ROBOLINK, votre bras articulé. Comment vous êtes-vous lancé dans une telle aventure ?
D’une façon qui illustre très bien notre politique d’innovation ! L’idée nous est venue de prolonger notre savoir-faire par la création d’un bras articulé. Rien à voir avec une prothèse : il s’agit d’une machine capable de déplacer un objet d’un point A vers un point B par exemple. Au départ, nous avons cherché à le doter de fils polymères en lieu et place de tendons. Rapidement, nous nous sommes aperçus que nous faisions fausse route et que la solution passait par l’intégration de moteurs dans le corps du bras. Il nous aura fallu cinq ans de mise au point non seulement pour gérer intelligemment toutes les parties électromécaniques mais surtout pour trouver les bons polymères, car les articulations et les systèmes d’entraînement sont essentiellement composés de plastiques, c’est une première !
Justement, le fait qu’il soit en plastique peut paraître surprenant…
Oui, mais tout dépend de ce que l’on souhaite faire avec. Nous nous positionnons sur un créneau dit low-cost au sens noble du terme. A l’instar de ce qui se pratique dans l’automobile, nous avons réussi à mettre au point un bras qui satisfera de nombreux industriels car tous n’ont pas besoin d’une voiture de course… Notre bras est avant tout robuste, très simple d’utilisation comme d’entretien ; il est modulable et présente de bonnes capacités, puisqu’il peut soulever jusqu’à 5 kg et autorise une précision de l’ordre du millimètre. Enfin, et c’est l’aspect le plus déterminant, robolink® est certainement le bras robotisé le moins cher du marché pour un tel niveau de performance. Il est en effet quatre à dix fois moins onéreux que ceux de nos concurrents. J’irai même un peu plus loin car je pense que c’est en concevant ce type d’équipement robuste, fiable et accessible que l’on pourra envisager la réindustrialisation de l’Europe.
En effet, dans certains domaines, le frein est aujourd’hui plus lié à l’investissement nécessaire qu’au coût de la main-d’œuvre.
Et à qui le destinez-vous ?
A tout le monde, ou presque… Certes, la majeure partie de nos clients sont des industriels. Dernièrement, nous avons lancé un projet pour équiper une chaîne de montage de sièges de bureau. Ceci dit, de nombreuses écoles techniques ou d’ingénieurs s’intéressent de plus en plus à ce bras, car c’est aujourd’hui un moyen assez bon marché pour former leurs élèves à la robotique. D’ici quelque temps nous pourrons même toucher les particuliers qui voudront s’amuser avec un très joli jouet. Ce n’est pas un doux rêve car, qui aurait imaginé, il y a seulement quelques années, la percée des imprimantes 3D dans le monde des particuliers ? Ce bras permet de nombreuses applications pour celui qui aime la robotique et l’informatique. Robolink® pourrait tout à fait devenir le partenaire idéal pour un passionné de jeu d’échecs par exemple…
Ce n’est là qu’une idée parmi d’autres ; pour les autres, je fais entièrement confiance à l’imagination de nos futurs clients présents dans près de quatre-vingts pays.