Les composites s'invitent dans la course à la performance
Toujours plus vite, plus loin
Robin Knox-Johnston, Eric Tabarly, Francis Chichester, Paul Elvström… des marins ! Mais des marins qui participent à des courses de légende qui font rêver le plaisancier moyen. Sport mécanique par excellence, la course en mer est exigeante : sans une bonne « machine » l’homme serait bien impuissant tant face à ses concurrents que face aux éléments. Il n’y a pas de secret, pour être performant, un bateau doit être léger mais pour aller loin… il doit être solide. Est-ce concilier l’inconciliable ? Cela l’a été jusqu’aux années 1980 et l’apparition d’une nouvelle génération de matériaux avant-gardistes que propose désormais l’industrie plastique sans cesse en quête de nouveautés.
Trouver les matériaux d'avenir
On l’a déjà dit, la découverte de nouveaux matériaux plus légers, plus résistants, plus simples à mettre en œuvre est un des « dadas » des ingénieurs chimistes. D’abord parce que c’est un défi qu’ils aiment relever, mais aussi et surtout parce qu’ils savent que les débouchés et les applications sont nombreux. Inventer un nouveau matériau c’est avant tout mettre au point une fibre qui, une fois enduite d’une résine, pourra se mouler aisément. Ainsi, dès les années 1960/1970, de nouvelles fibres apparaissent. Parmi elle, une allait se tailler durant un certain temps la part du lion : la fibre de carbone.
S'inspirer de la Technologie Spatiale
Encore onéreuse à produire dans les années 1960, cette fibre était en son temps l’apanage de l’industrie spatiale, où la question budgétaire était alors secondaire. Peu à peu l’industrie aéronautique allait elle aussi s’en emparer, suivie de la Formule 1. Bref, cette fibre devenait accessible et surtout ses qualités techniques – légèreté, résistance élevée à la traction et à la compression, flexibilité, inertie chimique, bonne tenue à la température – suscitaient l’enthousiasme des constructeurs. Pour l’industrie nautique, elle n’avait pas grand intérêt jusqu’au jour où la Coupe de l’America commença à passionner les foules. Au départ simple défi de milliardaires, elle allait attirer le gratin de la régate. Les sponsors ne regardaient pas à la dépense pour fabriquer le meilleur bateau qui soit. Et ainsi, en 1983, un obscur Australien rafla la mise sur un bateau révolutionnaire partiellement constitué de carbone. La course à l’armement était déclarée !
La compétition toujours moteur d'innovation
Dans le nautisme comme les autres sports, c’est évidemment à la compétition que l’on doit les plus belles innovations. Bien entendu, le talent des architectes navals y est pour beaucoup : recherche des meilleurs profils aérodynamiques et hydrodynamiques, ergonomie, étude de gréements… Un talent qu’ils savent conjuguer avec l’utilisation judicieuse des nouveaux matériaux que l’industrie plastique met à leur disposition, à l’instar des aramides, des polyéthylènes téréphtalates… Certains noms commerciaux deviendront même des noms génériques, comme le Kevlar, le Mylar, le Spectra ou Dynema… autant de matières désormais bien connues des marins.
De la Quille au Mât
Un bateau moderne et de compétition est une véritable vitrine des fournisseurs de matériaux composites. Ils sont absolument présents dans toutes les parties d’un navire de course. Quant aux coureurs, ils ne jurent que par eux. Pour ces compétiteurs professionnels, le bon vieux polyester insaturé fait aujourd’hui figure de matériau du passé, pour être remplacé par d’autres matériaux plus performants. La cause : la chasse au poids ! Pour les mêmes raisons, les fibres synthétiques entrent désormais dans la composition des éléments textiles – voiles, cordages… – et ont des caractéristiques mécaniques très fortement appréciées des navigateurs.
Une coque poids plume
Prenons les dernières générations de bateaux qui s’élanceront dans quelques jours pour le Vendée Globe, cette course autour du monde en solitaire : leur poids, qui reste un secret, avoisine les 8 t contre 11 pour le même type de bateaux il y a vingt ans. La cure d’amaigrissement est de taille, et pourtant, ces Formules 1 des mers doivent supporter des mâts toujours plus hauts (une trentaine de mètres) garnis de 300 m2 de voile. Leur coque est constituée d’une structure nid d’abeille en Kevlar de quelques centimètres prise en sandwich entre des films de carbone très fins, les mêmes que ceux utilisés en F1 ou dans l’aérospatiale. Par endroits, la peau externe n'excède pas 1 mm. Revers de la médaille : aux endroits les plus minces, la coque est très sensible au poinçonnement. La chute d’un simple morceau de métal peut faire un trou ! Les navigateurs ne sont pas pour autant des « têtes brulées », le risque est bien calculé, et ne sont concernés que les endroits où un trou n’entraînerait aucune avarie majeure.
La fibre polyester bien présente dans les voiles
Sur un voilier, les voiles, c’est le moteur. Pour être performante, une voile doit, là encore, être légère et résister à l’élongation donc ne pas se déformer. Autre contrainte, elle doit être peu sensible aux rayons ultraviolets qui l’attaquent et finissent par l’user. Le coton, lourd, qui se gorgeait facilement d’eau sur les voiliers d’antan a depuis belle lurette laissé place à des matériaux synthétiques. Premières à entrer en lice : les fibres polyester. Décidément ! Parmi celles-ci, une fibre à base de polyéthylène téréphtalate découverte par deux chimistes britanniques. Elle sera vite commercialisée par Du Pont de Nemours, aujourd’hui DuPont, sous l’appellation commerciale de Dacron. C’est sous ce nom que les « voileux » la découvriront dès les années 1950. Le Dacron est léger et hydrophobe, mais il se déforme, certes un peu moins que le coton, mais tout de même…
Toutefois, il est peu onéreux et parfaitement maîtrisé par les concepteurs de voiles. Il équipe, encore aujourd’hui, une très large proportion des voiliers de plaisance. Enfin, le Nylon trouvera aussi sa place, puisque cette fibre a permis la mise au point d’un nouveau type de voile particulièrement performante : le spinnaker, une voile multicolore en forme de ballon adaptée au vent arrière. L’extrême légèreté du Nylon en fait un matériau incontournable aussi bien en course qu’en croisière, pour les fondus de vitesse qui aiment partir dans d’incessants surfs sous spi.
Le Dacron s'enrichit
De fibres inédites font rapidement leur apparition dans les années 1980. Toujours à l’affût d’innovation, les maîtres voiliers, dont l’activité tourne à plein régime, vont s’y intéresser de très près. Ainsi, les marins les plus fortunés vont, non sans une certaine fierté, pouvoir hisser des voiles en Pentex, un dérivé du Dacron, qui se déforme peu – élongation limitée à 5 % à comparer aux 15 % du Dacron – et qui résiste assez bien aux ultraviolets. Le Mylar, un film transparent qui sert principalement de support à d'autres fibres, sera lui aussi exploité. Prenant en sandwich diverses fibres il garantit une excellente étanchéité ainsi qu’un taux de déformation quasi nul. Il est toutefois assez fragile et difficile à mettre en œuvre sur de grandes surfaces. C’est pour ces raisons qu’il ne fera le bonheur principalement que des véliplanchistes.
Les Aramides sont de la fête
Là encore, c’est lors de l’édition 1980 de la Coupe de l’America que le grand public a pu découvrir ces nouvelles voiles. Fini le blanc ; elles sont désormais jaunes ou noires en fonction de la fibre choisie. Sur les pontons, on ne parlait que de ça : était-ce une véritable avancée technologique ou un banal « coup d’intox » destiné à inquiéter les adversaires ? Non, l’innovation était réelle ! Les aramides forment une famille résolument high-tech, qui comprend notamment le Kevlar au facteur de performance vingt-cinq fois supérieur à celui du Dacron. Grâce à lui, le poids des voiles est encore diminué. Ce n’est pas tout, puisqu’il conserve sa forme dans quasiment toutes les situations. Cependant, il est très sensible aux ultraviolets et résiste très mal à la flexion. Sa durée de vie est donc assez limitée pour le plus grand malheur des finances des sponsors.
Emergeant en 1983, le Spectra ou Dyneema (un polyéthylène à « ultra-haut » poids moléculaire) apparaît alors comme la panacée. Cette fibre est presque deux fois plus performante que le Kevlar et dix fois plus que l’acier. Elle possède une excellente résistance aux ultraviolets, ne perd aucune de ces qualités à la flexion mais a tendance à s’allonger. La solution idéale est enfin trouvée avec le BPO (Polybenzobisoxazole), plus connu sous le nom de Zylon et reconnaissable à sa couleur orange. Ce polymère à cristaux liquides ne se déforme pas et résiste à peu près à tout. Ajoutons enfin que le développement de ces fibres s’est accompagné de nouvelles techniques de fabrication des voiles. Autrefois tissées, les voiles high-tech sont maintenant constituées de fibres enserrées entre des films plastiques. Elles sont collées voire moulées. Autant de process qui autorisent une mise en œuvre en trois dimensions, gage d’un meilleur profil aérodynamique.
Ces nouvelles fibres s'emparent des cordages et des câbles
C’est logique ! Qu’est-ce qu’un cordage ou un câble ? Un ensemble de brins enroulés sur eux-mêmes. On parle alors de commettage. Selon les caractéristiques recherchées, il y aura toujours la fibre correspondante dans le catalogue des fabricants. Résistance à l’abrasion ou à la traction, taux d’élasticité ou d’allongement… On comprend donc aisément pourquoi les fibres modernes, comme le Spectra ou le Dyneema ont peu à peu remplacé le chanvre et le coton.
La fin du métal
Les parties traditionnellement métalliques sont en perte de vitesse sur un bateau. Les mâts et autres baumes en carbone sont devenus monnaie courante, y compris pour le plaisancier du dimanche. Raide, solide et nerveux, un mât carbone est certes source de performance mais ce n’est pas son unique avantage, loin s’en faut. Son faible poids comparé à l’aluminium permet d’alléger aussi le gréement dormant : l’ensemble des câbles qui maintiennent le mât. C’est d’ailleurs sur ce poste que les évolutions techniques sont les plus extraordinaires.
Maintenir à la verticale un mât d’une quinzaine de mètres sur une coque en mouvement de 4 mètres de large n’est pas une mince affaire. Jusqu’à ces dernières années, seuls l’acier ou l’Inox réussissaient à remplir cette fonction. Leurs jours étaient pourtant comptés… Aujourd’hui le Zylon, encore lui, enduit de polyuréthane, provoque l’engouement de l’élite de la course au large tant le gain de poids réalisé grâce à lui est conséquent. Bien évidemment, il se substitue de plus en plus aux câbles métalliques.
L'idée de Génie
Encore plus surprenant, ce sont des petites billes de plastique qui feront la fortune de l’Américain Peter Harken. Jeune homme dans les années 1960, il se passionne pour la voile. (Mal)heureusement pour lui, son budget ne lui permet pas de s’offrir les poulies de ses rêves à base de roulements à billes métalliques. Il décide donc de les fabriquer lui-même en se servant de roulements à billes en plastique qu’il trouve chez son employeur de l’époque, un fabricant de matériel médical. Et là, surprise, comme il le dit lui-même : « Cela fonctionnait à merveille ! Elles étaient beaucoup plus véloces que les billes en acier enduites de graisse ! Mes partenaires de navigation ont vite remarqué la vitesse à laquelle je manœuvrais mes voiles, j’ai donc également fabriqué des poulies pour leurs bateaux. » La petite entreprise grandit et est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux sur le marché de l’accastillage. Bien entendu, le plastique a évolué mais il est toujours très présent dans le matériel Harken.
Gérer la fin de vie
Fut un temps, celui de la marine en bois, où lorsqu’un bateau devenait trop vieux pour être utilisé en toute sécurité, il était simplement échoué au fond d’une crique. Il devenait alors une réserve de bois de chauffage pour les habitants des lieux. Un destin qui ne pourra en aucun cas être celui d’un bateau en plastique.
Il y a encore une dizaine d’années, les quelques bateaux en fin de vie s’amoncelaient sur les terre-pleins des ports de plaisance. Que faire ?
Une réflexion s’engagea entre l’industrie nautique, les gestionnaires des ports et les professionnels du recyclage. S’inspirant du modèle mis en place par l’industrie automobile, les professionnels du nautisme organisèrent leurs propres filières.
Arrivé en fin de vie, un bateau est aujourd’hui démantelé : les différents matériaux sont triés et sont valorisés soit en recyclage traditionnel pour le bois, les éléments électriques, certains plastiques et les métaux, soit en recyclage énergétique pour le reste. Sachant que la durée de vie d’un navire en polyester est d’une soixantaine d’années, c’est, à long terme, de l’activité assurée pour ces filières. Une bonne nouvelle pour le marché de l’emploi !