Paroles d'expert 3 min

Impression 3D : « recycler à volonté des polymères n’est peut-être pas un doux rêve ! »

Rencontre avec Fabio Alberto Cruz Sanchez, doctorant colombien au Laboratoire ERPI et au Laboratoire LRGP de l’Université de Lorraine et auteur d’une thèse portant sur l’étude de la recyclabilité pour la fabrication additive dans un contexte open source.
Impression 3D : « recycler à volonté des polymères n’est peut-être pas un doux rêve ! »
Impression 3D : « recycler à volonté des polymères n’est peut-être pas un doux rêve ! »

Comment vous est venue l'idée de vous intéresser au recyclage des plastiques utilisés dans les imprimantes 3D ?

Ce sont des chercheurs de mon laboratoire qui en ont eu l’idée. Je travaille dans un Fab Lab qui est très aussi fréquenté par des industriels et des étudiants. Tous, nous avons pour habitude de faire de nombreux d’essais, il y a beaucoup de ratés et donc de rebus : une véritable la galerie des monstres !  Nous avons décidé de mener des recherches pour réduire cette forme de pollution et je me suis passionné pour le sujet. En tant que scientifique chercheur, je m’intéresse depuis très longtemps aux polymères, je me suis donc tout naturellement demandé s’il était envisageable de recycler les objets imprimés en 3D plutôt que de s’en débarrasser en les jetant.

A première vue, cela ne semble pas être un sujet majeur, puisque l'impression 3D ne représente qu'un pourcentage infime des plastiques utilisés...

C’est vrai aujourd’hui, mais depuis une dizaine d’années, le marché de l’impression 3D connaît une croissance époustouflante. Aujourd’hui, on en trouve déjà dans les bureaux d’études, chez les designers et même dans les collèges et les lycées. Demain, il est fort probable que de nombreux particuliers en seront équipés. Les volumes de plastiques utilisés seront alors nettement plus conséquents. Et puis, pour rester dans le présent, si je prends le cas des bureaux d’études, ils l’utilisent pour concevoir des prototypes qui ont une durée de vie très limitée. Au bout de deux ou trois présentations, ces superbes objets finissent très souvent au fond d’un bac de poubelle.

Et quelles sont les conclusions de votre thèse ? 

Avant de parler de mes conclusions, j’aimerais évoquer une sorte de prérequis. Je suis parti du principe qu’un matériau recyclé devait avoir les mêmes caractéristiques qu’un matériau vierge. En effet, s’il doit perdre, après recyclage, l’une de ses propriétés physiques ou chimiques, il pourrait être considéré comme un matériau bas  l’utiliser. Et dans notre cas, le polymère qui a été fondu et coupé n’a plus tout à fait les mêmes caractéristiques. C’est un peu comme des spaghettis entiers face à des spaghettis coupés, ce sont les mêmes pâtes mais leurs propriétés physiques sont différentes. De plus, un polymère n’est pas insensible à son environnement : les UV, la sueur, des micro-organismes peuvent aussi l’attaquer.

Faut-il en conclure que ce n'est pas encore demain que l'on pourra recycler les polymères utilisés dans les imprimantes 3D ?

Ce que nous cherchons à faire aujourd’hui, c’est de recycler les polymères comme le PLA qui est largement utilisé dans les imprimantes 3D. Dans mon laboratoire, nous cherchons la solution en extrudant le plastique usagé puis en le réintroduisant dans les imprimantes pour les refondre. En apparence cela fonctionne mais en analysant les propriétés comme la résistance mécanique du nouvel objet, nous constatons qu’il y a des changements dans la structure du matériau. Ce n’est donc pas satisfaisant et cela prouve que le polymère a perdu quelques-unes de ses propriétés lors de la transformation.

Dans le monde, de nombreuses start-up cherchent à mettre au point des filaments issus d’autres polymères. Ainsi, après plusieurs essais, on trouve désormais des bobines fabriquées à partir du PET (polytéréphtalate d’éthylène) des bouteilles d’eau. L’ABS est aussi au cœur de bien des recherches. En fait, la véritable difficulté est de proposer une méthode de recyclage et d’évaluation du polymère recyclé qui soit viable, reproductible et facilement appropriable par les utilisateurs de l’imprimante 3D. Nous essayons de construire les outils méthodologiques pour créer une véritable économie circulaire autour de cette technologie.

 

Pourrait-on envisager une filière recyclage ? 

Oui, c’est même nécessaire, car, encore une fois, d’ici quelques années il est fort probable que chaque particulier ait sa propre imprimante 3D et chacun voudra à son tour faire, par exemple, le buste d’un membre de sa famille ou d’un ami. Cela fait mondialement quelques tonnes de déchets en perspective… J’imagine très bien trouver dans chaque quartier une sorte de bac de récupération des objets 3D ratés ou qui n’intéressent plus leur créateur. Chacun pourrait se servir. Nous trouvons déjà sur internet des plans en open source pour se fabriquer une extrudeuse maison. Il n’est pas illusoire de penser qu’un groupe d’amis, de voisins, se construise cette extrudeuse et la mette à la disposition des uns et des autres. Ils pourraient ainsi se fabriquer leurs propres bobines de fil. Il faudra toutefois faire très attention en mettant en garde les utilisateurs sur les risques qu’ils prennent s’ils décidaient de fabriquer des objets destinés à un contact alimentaire.

Il est en effet imprudent de se servir de ces plastiques usagés pour concevoir un beau saladier pour garder au frais les restes de la veille et les réchauffer plus tard au four à micro-ondes. C’est une question de santé publique et le risque sanitaire me semble loin d’être négligeable. Autre point, cette filière ne fonctionnera que si les bacs de récupération ne débordent pas. Il faut espérer qu’une sorte d’équilibre se fera entre le dépôt d’objets usagés et leur récupération. Dans ce cas, ce serait un parfait exemple d’économie circulaire réussie !

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