Paroles d'expert 4 min

Faire de l’eau avec de l’air

Dans le monde, plus d’un milliard de personnes vivent sans accès à l’eau potable. Et, on le sait bien, avec la croissance de la population, l’eau est un véritable enjeu pour les décennies qui arrivent. Comment faire face sans assécher la planète ? La solution pourrait bien venir des cieux, comme on l’explique chez Eole Water, une start-up qui vient de concevoir une éolienne pour le peu révolutionnaire. Rencontre avec Thibault Janin, directeur marketing et communication d’Eole Water.
Faire de l’eau avec de l’air
Faire de l’eau avec de l’air

Vous avez réussi à mettre au point un nouveau type d'éolienne capable de produire de l'eau, en quoi est-ce si novateur ?

C’est vrai qu’en jetant un simple coup d’œil à nos éoliennes, on ne peut réaliser la technologie qui se cache sous la nacelle. Utiliser une éolienne pour pomper de l’eau n’est pas nouveau. Les Hollandais régulaient déjà le niveau de l’eau dans les polders grâce à des moulins qui agissaient comme des pompes. Dans le même ordre d’idée, ces petites éoliennes que nous voyons systématiquement dans les westerns servent aussi à alimenter des pompes à eau. Notre éolienne n’a rien à voir avec cela, il ne s’agit pas d’une pompe mais plutôt d’un aspirateur générant de l’eau propre à la consommation là où elle n’existe pas, en utilisant le principe simple de la condensation de l’air.

Comment est née cette idée ? 

Marc Parent, le créateur de l’entreprise et l’inventeur du système, vivait dans les Caraïbes dans les années 1990. Il récupérait l’eau générée par la condensation de l’air à partir de son système de climatisation. Il s’est alors demandé s’il ne serait pas possible de concevoir une machine autonome capable de produire de l’eau par ce processus. Le concept de l’éolienne aspirant de l’air pour le transformer en eau s’est pratiquement imposé à lui. Au début des années 2000, rares étaient ceux qui croyaient en son projet. Il s’est tout de même lancé. Et, bien entendu, aujourd’hui l’idée est reprise par d’autres. Nous sommes certes les inventeurs de cette technologie, mais nous ne sommes plus les seuls sur ce marché très prometteur. En tant que précurseurs, nous gardons tout de même une certaine avance et un savoir-faire.

Quel en est le fonctionnement ? 

Vous le savez, l’air ambiant est plus ou moins gorgé d’eau sous forme de vapeur. Très schématiquement, l’éolienne fournit l’énergie nécessaire à l’alimentation d’une turbine qui aspire l’air. Une fois aspiré, l’air est refroidi par un condenseur qui transforme l’eau de l’état de vapeur à l’état liquide. L’eau est récupérée dans un bac en fibre de verre/epoxy, s’écoule le long du mât, puis passe dans un système de filtration pour devenir propre à la consommation. Sur le papier cela paraît assez simple, mais il nous aura fallu construire plusieurs prototypes pour arriver à un bon résultat, car nous avons dû loger l’ensemble du système de création d’eau dans la nacelle – le corps de l’éolienne. Ceci représente un poids non négligeable, puisque le condenseur pèse à lui seul près de 1 t. Nous avons donc dû trouver un grand nombre de solutions techniques pour ne pas alourdir considérablement la nacelle.

Pouvez-vous en dire plus ?

Bien entendu, mais avant tout je tiens à parler des caractéristiques de notre éolienne. Aujourd’hui, nous sommes capables de produire à peu près 1 000 l d’eau potable par jour avec un taux hygrométrique moyen de 45 % et par une température moyenne de 24 °C. Elle génère également 30 kW de puissance. Au début des années 2000, nos prototypes, plus petits et plus simplistes, ne généraient « que » 50 l…

Revenons au condensateur, comment avez-vous résolu le problème ?

Il existe des condensateurs en plastique, mais nous avons choisi, pour le moment, de rester sur des condensateurs en Inox alimentaire. Nous gardons toutefois ce type de condensateur dans un coin de notre tête pour l’insérer – pourquoi pas ? – dans nos prochaines éoliennes. Mais cela reste au niveau de l’étude pour le moment même si nous avons bien conscience que le plastique est facilement moulable, et surtout bien plus léger que le métal. De plus, il ne nécessite que très peu d’entretien car il ne se dégrade pas avec le temps et résiste à toutes les conditions climatiques. Nous avons eu la même approche pour l’ensemble des filtres. Grâce aux différents polymères qui les composent, ils sont facilement démontables et lavables voire interchangeables à faible coût. Pour nos clients, c’est essentiel et c’est la garantie qu’ils auront toujours une eau propre à la consommation.

Où en êtes-vous de la commercialisation ?

Les tests sont très concluants et le processus commercial est entamé. Nous avons installé notre dernier prototype à Dubaï, dans le Golfe persique. Ce choix peut paraître surprenant, mais nous avons choisi l’un des lieux les plus secs de la planète pour montrer combien notre technologie est efficace. Dubaï, ce sont des conditions extrêmes : aridité, présence de sel marin dans l’air, pollution… Ce choix était osé mais nous ne regrettons rien car nous réussissons à produire plusieurs centaines de litres d’eau quotidiennement. De quoi convaincre bien des investisseurs et de potentiels clients !

 

Après avoir asséché les nappes phréatiques, n'y a-t-il pas un risque d'assécher l'air ?

Absolument pas, car, contrairement aux nappes phréatiques, l’eau présente dans l’air se renouvelle très vite. Lorsque nous aspirons l’air ambiant, il faut entre quatre et vingt-quatre heures pour que celui-ci retrouve son niveau d’humidité. J’ajoute que nous « n’extrayons » que 50 % de l’eau présente dans le ciel et que, contrairement à ce que j’ai pu lire, nous n’aspirons pas les nuages.

Quand pensez-vous commercialiser votre éolienne ?

Nous sommes déjà en phase de commercialisation. Les tests à Dubaï sont particulièrement concluants. Bien sûr, comme tout produit industriel, à fortiori lorsqu’il s’agit d’une innovation, nous l’améliorons chaque jour, notamment la partie électronique du système. Nos ingénieurs avancent très vite. Grâce aux plastiques (ce ne sont pas les seules matières que nous utilisons), nous devrions être parfaitement capables d’isoler efficacement l’ensemble des composants électroniques, à l’instar des câbles qui sont gainés de PVC pour les mêmes raisons. Nos process sont prêts, et nous pourrons entamer une production en série dans des délais très courts.

 

C’est aussi l’avantage de la fibre de verre, qui, à part pour quelques pièces bien spécifiques, ne nécessite pas de machines ultra-complexes pour pouvoir prendre la forme attendue. Le moulage du composite fibre-résine est d’un rendement qualité-prix bien meilleur que l’emboutissage des tôles. Cela nous permet donc de proposer une éolienne à un prix relativement abordable. N’oublions pas que celle-ci sera destinée la plupart du temps aux pays les plus pauvres, et plus exactement aux villages souvent reculés ayant de grandes difficultés d’accès à l’eau potable.

 
 
POUR EN SAVOIR PLUS

www.eolewater.com

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