Techno du futur 8 min
La robotique en pince pour les polymères
Le robot prêt à satisfaire nos moindres désirs… Cette idée reste encore du domaine de la science-fiction. Hélas ! Cependant, la robotique est un sujet qui fascine les unités de recherches universitaires et la R&D privée. La recherche bouillonne et, parmi les scientifiques, certains s’intéressent de très près aux matériaux polymères, vecteurs souvent indispensables pour passer du rêve à la réalité.
La robotique en pince pour les polymères
La robotique en pince pour les polymères

Robots mous, les polymères jouent les durs

Les plastiques souples donnent du mou aux scientifiques

Si notre vision des robots a déjà bien évolué depuis quelques décennies, il faut savoir que l’avenir de la robotique passe sans conteste par la robotique molle. Pour mieux comprendre ce concept, il faut imaginer un robot sans articulations dont la mise en mouvement ne serait assurée que par la déformation de sa structure. Contrairement à la robotique que l’on peut qualifier de traditionnelle, qui s’appuie avant tout sur le rapport poids/rigidité des matériaux pour concevoir des robots stables et qui ne tremblent pas (imaginons un seul instant les dégâts potentiels d’un bras chirurgical non stable…), la robotique molle cherche à jouer avec la déformation contrôlée du robot pour lui faire faire la tâche programmée. On peut carrément parler de changement de paradigme ; de nombreux scientifiques se sont d’ailleurs engagés dans cette voie inédite et pleine de promesses. Cette nouvelle approche s’appuie sur une meilleure connaissance des matériaux polymères souples, sur la puissance de calcul toujours plus performante des ordinateurs, qui autorise une modélisation plus fine du mouvement des robots, et sur les imprimantes 3D capables d’imprimer à partir de matériaux souples.

Dans l’industrie, certains bras de robots sont d’ores et déjà munis de préhenseurs déformables à la place des pinces habituelles. Très schématiquement, cette nouvelle main se compose de granules de plastiques ensachées. Lorsqu’elle se dépose sur l’objet à saisir, la souplesse des granules fait qu’elle épouse naturellement la forme de l’objet. Il suffit ensuite de créer un vide d’air entre la main et l’objet pour que le robot puisse saisir l’objet et le manipuler sans aucun risque de l’endommager.

 

Les pinces souples de ce robot conçues à partir d’un polymère souple permettent de saisir sans les abimer les objets les plus délicats.

Autre exemple, il existe des pinces souples, conçues à partir d’un polymère conforme aux normes alimentaires, capables de manipuler à l’envi tout type d’aliment, notamment les plus fragiles, comme les gâteaux.

Les polymères ne manquent pas d’air

Les exosquelettes ont eux aussi un grand avenir dans le monde de la robotique. Leur seul problème : leur encombrement et, dans une moindre mesure, leur poids, qui reste important malgré l’utilisation de matériaux composites. Une structure molle pourrait résoudre ce problème. Certains chercheurs, dont ceux de l’université de Lausanne en Suisse, sont en passe de mettre au point un exosquelette en élastomère, qui a la forme de boudins. Pour le mouvoir, il suffit d’injecter de l’air sous pression. Concrètement, ce robot est constitué d'une série de poches étanches en élastomère reliées à un compresseur et emballées dans une enveloppe de silicone. Seul problème, ces deux matériaux ont un coefficient d’étirement particulièrement élevé. Pour contrôler le mouvement, il fallait donc les contraindre. Ce qui a été fait en les enrobant d’une fibre polymère non étirable de type aramide.

L’injection d’air pour animer un robot a le vent en poupe. A l'université américaine de Temple, on a réussi à mettre au point une petite chenille qui se déplace sur tous les types de surfaces, à l’horizontale ou à la verticale et aussi bien dans l’eau que dans l’air. Comme une chenille, elle se plie et se déplie et avance ainsi à la vitesse de 3mm par minute. Cela paraît peu, mais au stade où en est la recherche dans ce domaine, c’est déjà un bel exploit. Cette chenille se compose de deux couches de silicone scellées formant ainsi une sorte de petit boudin gonflable. Il suffit d’injecter de l’air pour voir sa partie arrière se plier vers l’avant, puis relâcher la pression pour mouvoir la partie avant. A terme, il est question d’en faire un champion de l’exploration sous-marine, car cette petite chenille est capable de transporter une charge cinq fois supérieure à son poids.

© Yichao Tang et al.-I.Must/E.Sinibaldi/B.Mazzolai-Wenqi Hu et al. - E.Coevoet/Inria

Ce petit robot chenille composé de silicone se destine à l’exploration sous-marine.

La vitesse est-elle améliorable ? Certainement, comme le révèle une université de Caroline du Nord qui s’est inspirée de la course du guépard pour créer un petit robot dont le principe repose sensiblement sur celui de la petite chenille de Temple qui se plie pour avancer. Nommé LEAP (Leveraging Elastic Instabilities for Amplified Performance), il tire parti des caractéristiques d’élasticité du polymère souple qui le composent pour améliorer ses performances.

 

En reproduisant la morphologie du guépard, un petit robot mou a battu tous les records de vitesse de sa catégorie.

Ce robot mou copie la colonne vertébrale bistable du guépard, ce qui lui permet de conserver sa stabilité lors de la course, quelle que soit la position de ses pattes (tendues ou pliées). Cela explique en partie la grande vitesse que l’animal peut atteindre. Ce robot de 7mm de long peut couvrir 2,7 longueurs de corps par seconde. A titre de comparaison, le précédent robot mou le plus rapide au monde se déplace à une vitesse de 0,8 longueur de corps par seconde. La vitesse du LEAP est donc plus de trois fois supérieure.

Côté application, on pense à une main robotisée qui devrait être capable de saisir un objet avec délicatesse et célérité.

Accueil à bras ouverts pour les polymères

Avec ses huit tentacules, la pieuvre occupe une bonne place dans le bestiaire de nos imaginations. Elle fascine autant qu’elle effraie. C’est déjà une bonne raison pour l’étudier d’un peu plus près et essayer de reproduire ses étonnantes capacités. Il y a quelques mois, les universitaires de Harvard présentaient l’Octobot, le premier robot autonome et entièrement mou. Lui aussi est en silicone gélifié. Toutefois, ce qui le distingue de ses cousins développés dans d’autres universités est sa capacité à être autonome sans batterie ni tuyaux destinés à injecter de l’air en provenance de l’extérieur. Son secret repose sur une réaction chimique entre du peroxyde d’hydrogène et du platine, tous deux embarqués dans de petits réservoirs. Lorsque ces deux éléments sont en contact, un gaz se forme qui se diffuse dans les bras de la petite pieuvre. C’est suffisant pour la faire se mouvoir. Ici aussi, la recherche en est à ses débuts et il reste encore à contrôler la réaction chimique pour mieux diriger l’« animal ».

© Lori Sanders, Ryan Truby, Michael Wehner, Robert Wood, and Jennifer Lewis

L’Octobot, un robot poulpe à base de silicone gélifié est l’un des premiers robots mous à être presque entièrement autonome.

A l’université de Harvard, on promet qu’en lui ajoutant des capteurs, l’Octobot pourra bientôt interagir avec son environnement. Ce petit robot devrait surtout servir de base pour des conceptions plus complexes. A la clé, des applications dans des domaines comme la surveillance des océans et la recherche de victimes dans des zones immergées difficilement accessibles.

D’autres chercheurs n’en ont pas fini avec la pieuvre, plus précisément avec ses tentacules. Il faut savoir que les deux tiers des neurones du poulpe sont entièrement dédiés à ses huit « bras ». Raison pour laquelle chacun de ses tentacules est indépendant et surtout si agile. Des chercheurs de l’université de Beihang en Chine et de la Harvard John A. Paulson School of Engineering and Applied Sciences aux Etats-Unis ont réussi à développer un bras robotique qui imite ce tentacule. Flexible, il est muni de ventouses et peut ainsi déplacer, saisir et manipuler avec précaution un large éventail d’objets. C’est d’ailleurs une première, car jusque-là on n’avait jamais réussi à reproduire avec autant de précision les caractéristiques des tentacules du poulpe. Ce bras fonctionne lui aussi grâce à l’injection d’un flux d’air. Difficile de connaître la nature du polymère qui a servi à sa fabrication. Elastomère ou silicone ? Le matériau reste confidentiel… En tous les cas, le petit robot intéresse des industriels, et il devrait être commercialisé dans les mois à venir.

© Bertoldi Lab/Harvard SEAS

Le tentacule de poulpe fascine les chercheurs par sa puissance, sa souplesse et sa délicatesse. Les reproduire a été une mission de choix pour les polymères souples.

Les plastiques en voient de toutes les couleurs

A l’université finlandaise de Tampere, des chercheurs avaient réussi, il y a quelques années, à inventer un gel polymère capable de devenir liquide sous l’effet de la lumière. Depuis, ils ont mis au point un nouveau polymère à cristaux liquides qui peut se déplacer et prendre la couleur de son environnement. Le plastique utilisé est truffé de cristaux liquides qui, sous un influx lumineux, réagissent en changeant de position, ce qui permet au robot de se mouvoir. Aujourd’hui la recherche l’a doté de la mémoire des couleurs. Sans entrer dans les détails, le polymère à cristaux liquides a « été éduqué » pour reconnaître certaines couleurs. Il ne s’agit pas d’intelligence artificielle mais d’une simple réaction des cristaux liquides à la longueur d’onde de chaque couleur. Une application qui pourrait intéresser l’industrie agroalimentaire, car on peut facilement imaginer qu’un bras robotique doté de cette technologie pourrait saisir plus ou moins délicatement un fruit, par exemple, qu’il s’agisse d’une fraise ou d’une orange.

La robotique molle a toutes les chances de mettre définitivement au rencart les bonnes vieilles boîtes de conserve comme D2R2. Cette discipline nouvelle est indissociable de la science des matériaux. Toutes deux progressent à grande vitesse. Certes, beaucoup d’expérimentations sont encore en cours, mais les applications sont nombreuses à se profiler. Dans le domaine de la santé aussi les robots mous pourraient bien d’ici quelques années révolutionner les approches thérapeutiques.

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