Les plastiques explorent de nouveaux territoires
Les médias aiment faire le buzz en évoquant la révolution numérique et la médecine connectée qui va avec. Si les applications qui en découlent sont très utiles pour le confort des patients, elles ne sont pas toujours si révolutionnaires. Moins tapageuse, une autre révolution se prépare dans les laboratoires des universités ou dans ceux de l’industrie pharmaceutique. A la clé, une individualisation des soins grâce à l’adaptation des traitements aux besoins spécifiques de chaque malade.
Les plastiques sont sur les nerfs
Dans les pays riches, la médecine moderne a permis l’allongement significatif de la durée de vie. Aujourd’hui, si l’on parvient avec plus ou de moins de succès à prolonger les fonctions vitales de nos organismes, l’ingénierie tissulaire des ligaments et tendons est le domaine de recherche où les défis à relever sont parmi les plus importants.
Les premières prothèses polymères de tendons sont apparues dans les années 1980. Très efficaces, elles se sont toutefois montrées, au fil du temps, pas si résistantes à l’usure. Ce qui, pour le patient, signifiait une nouvelle intervention. Aujourd’hui, la recherche médicale suit de très près celle des fabricants de polymères. Ainsi, on s’intéresse aux poloxamères, des copolymères de type poly(oxyde d’éthylène-b-oxyde de propylène-b-oxyde d’éthylène) qui, tressés avec du PLA, permettraient la conception de tendons artificiels parfaitement élastiques et théoriquement inusables.
Certains y voient un pas supplémentaire vers le transhumanisme, cette discipline controversée qui espère rendre l’humain immortel. Nous en sommes encore loin, mais la science, notamment celle des matériaux, avance. Aux Etats-Unis, une équipe de Stanford affirme avoir mis au point un nouveau polymère incroyablement élastique, qui peut être étiré jusqu’à trois fois sa longueur initiale avant rupture. Autocicatrisant, cet élastomère se dilate ou se contracte après stimulation électrique. |
Si les ligaments artificiels à base d’élastomères existent depuis longtemps, des laboratoires de recherche tentent maintenant de créer des muscles artificiels en s’appuyant sur les propriétés des polymères. |
La médecine musculaire suit attentivement les avancées de ce laboratoire, car un tel matériau pourrait un jour remplacer un muscle. Les chercheurs dévoilent que ce nouveau polymère tire ses propriétés de la réticulation, un procédé chimique qui consiste à relier des chaînes moléculaires entre elles pour former un réseau tridimensionnel. On sait également que le polymère de base a été enrichi d’ions métalliques pour le rendre sensible aux champs électriques. Quant aux applications, on évoque évidemment le remplacement partiel de muscles, voire la conception d’une peau artificielle. Cette dernière permettrait aux porteurs de prothèses de retrouver des sensations tactiles en connectant cette peau au système nerveux du moignon.
Nanotechnologies : un champ d’applications quasi infini
Un nanomatériau est un matériau naturel, formé accidentellement ou manufacturé, contenant des particules libres, sous forme d’agrégat ou d’agglomérat, dont au moins 50% présentent une dimension externe se situant entre 1 nm et 100 nm. Les nanotechnologies appliquées aux polymères dans l’univers médical ouvrent la voie à des traitements beaucoup moins invasifs, mieux ciblés et de plus en plus personnalisés.
Depuis une vingtaine d’années, en effet, la médecine cherche à individualiser les traitements pour les rendre plus efficaces. L’idée est d’apporter le principe actif en juste quantité, et uniquement là où c’est nécessaire. Le traitement des cancers en est une bonne illustration. Des laboratoires cherchent désormais à développer des traitements qui ne s’attaquent qu’aux cellules malades sans détruire les cellules saines. Un enjeu majeur, car les chimiothérapies par exemple sont le plus souvent injectées en intraveineuse, se repandant ainsi dans tout l’organisme et affaiblissant de ce fait les cellules saines.
Le chemin est encore long mais il s’éclaircit. En France, des scientifiques ont dernièrement mis au point un nouveau polymère biodégradable à base de polymères vinyliques dont le procédé de fabrication reste confidentiel. On sait toutefois qu’ils ont réussi à créer une liaison covalente (c’est-à-dire entre deux atomes via la mise en commun d’électrons) entre la gemcitabine, une molécule qui agit contre différents cancers, et le polymère. Si le polymère est un véhicule remarquable pour le transport du médicament, reste à trouver le moyen de libérer celui-ci au bon moment pour qu’il atteigne les cellules ciblées.
L’avenir de la médecine passera par la nanotechnologie, semble-t-il. A Singapour, un laboratoire a conçu des nanoparticules à base de PET capables de cibler les cellules malades. |
A l’Institut de bioingénierie et de nanotechnologie de Singapour, un polymère biodégradable, qui permet d’agir contre les infections fongiques de type staphylocoque, a été mis au point. Ces nanoparticules à base de polytéréphtalate d’éthylène (PET) ont été modifiées pour être attirées comme des aimants par les cellules infectées. Les premières publications de ce laboratoire n’en dévoilent pas beaucoup plus pour le moment … |
la célèbre Johns Hopkins University School of Medicine aux Etats-Unis, on cherche le moyen d’agir contre l’incurable cancer du cerveau. Administrer un médicament dans cet organe n’est pas simple, car il se compose en partie d’un fluide particulièrement visqueux qui empêche les « molécules guérisseuses » de s’y frayer correctement un chemin. Pour résoudre ce problème, les chercheurs les ont enduites de nanoparticules de polyéthylène glycol, un polymère bien connu et non toxique. Ce polymère joue ici un rôle de lubrifiant et permet aux molécules médicamenteuses de mieux glisser. Des progrès restent à faire, car les chercheurs estiment qu’en augmentant un tant soit peu la taille des nanoparticules, la glisse devrait être améliorée.
Les polymères déroulent le tapis rouge
Le sang est une denrée d’autant plus précieuse que les donneurs se font de plus en plus rares… La solution pourrait passer par la mise au point d’un sang artificiel. Un doux rêve ? Un laboratoire américain en Caroline du Nord est sur la piste, et ses premiers résultats semblent assez concluants.
Dans les faits, ils n’ont pas vraiment réussi à créer du sang, mais plutôt des globules rouges dont la mission est de transporter l’oxygène vers les organes et le dioxyde de carbone vers les poumons. En Caroline du Nord, ces globules rouges synthétiques ont été obtenus grâce à un moule en fluoropolymère élastomérique dans lequel ont été moulés les globules composés d’un hydrogel polymère. Lequel ? Les scientifiques se contentent d’évoquer un « prépolymère ». Injectées dans des souris, ces cellules d’hydrogel ont montré une véritable efficacité et une très bonne résistance. Leur flexibilité leur permet, de plus, de passer par tous les types de vaisseaux. Cette découverte permettrait certes de fabriquer un jour un sang artificiel mais également un médicament, ou tout du moins son enveloppe, capable de délivrer le principe actif (la molécule qui sert à la guérison) dans les endroits habituellement peu accessibles de l’organisme.
En parvenant à créer des globules rouges artificiels à base d’hydrogel polymère, un laboratoire américain ouvre la voie au sang de synthèse. |
Robots médicaux, les polymères donnent du mou
La robotisation est un autre sujet de choix pour les chercheurs en santé. On ne parle pas ici des bras chirurgicaux, mais bel et bien de petits robots mous qui, une fois introduits dans le corps humain, pourraient mieux soigner un malade, ou rendre son traitement moins fastidieux. C’est le cas des personnes diabétiques, par exemple, qui doivent régulièrement se piquer pour s’administrer leur dose d’insuline.
u MIT, on a réussi à développer à partir d’un polymère biodégradable un nanorobot muni d’une aiguille en insuline lyophilisée. Pour les millions de diabétiques dans le monde, ce serait la fin du calvaire des piqûres quotidiennes. |
Au célèbre MIT, on a créé une capsule à partir d’un polymère biodégradable de la taille d’une myrtille. Cette dernière enferme une micro-aiguille d’insuline lyophilisée. Toute l’astuce a été de trouver le moyen d’injecter le traitement au bon moment. Pour ce faire, les chercheurs ont ajouté à la capsule un bouchon composé d’un petit morceau de sucre qui fond le temps d’atteindre l’estomac. Une fois à destination, la capsule libère l’aiguille d’insuline qui vient piquer la paroi de l’estomac.
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Simple et efficace… La capsule est ensuite naturellement digérée. Seul problème, le coût de cette capsule reste nettement supérieur à celui des traditionnels stylos à insuline.
Les robots mous, le plus souvent à base d’élastomère ou de silicone, sont également au cœur de nombreuses recherches médicales dans le monde. (voir notre article sur les robots). A l’institut Max Plank, en Allemagne, on vient de mettre au point un petit robot mou de 4 mm qui peut être contrôlé à distance grâce à des capteurs magnétiques. Cette petite chenille, une fois avalée ou insérée sous la peau, pourrait traverser le système digestif ou urinaire, la cavité abdominale, voire la surface du cœur pour aller déposer le médicament au bon endroit. L’originalité de ce robot repose avant tout sur son extrême mobilité et sa capacité à s’étirer pour surmonter les obstacles. Il a déjà été testé dans un estomac synthétique et a parfaitement réussi son parcours du combattant !
Préfigurent-ils la médecine de demain ? C’est assez probable car d’autres technologies comme l’impression 3D évoluent également. Ainsi, prothèses et robots pourraient d’ici peu être fabriqués au sein même des hôpitaux au gré des besoins de leurs patients. Dans certains laboratoires on s’intéresse également à l’hybridation des matériaux en essayant d’associer des matériaux de synthèse, comme les polymères, avec des cellules-souches, afin de fabriquer de nouveaux organes, par exemple. Un pas de plus vers l’homme bionique ? Peut-être, mais pour le moment l’objectif est de mieux soigner en personnalisant les traitements. Y parvenir sera déjà une très belle avancée.