Les plastiques dans le feu de l'action
Les polymides : nouveau fer de lance de l'armée
Durant la Seconde Guerre mondiale, la toute jeune encore industrie plastique commence à intéresser au plus haut point les laboratoires militaires, et plus particulièrement l’US Air Force. Les militaires sont en quête de matériaux plus légers, au moins aussi performants que le métal et qui résistent à de hautes températures. Dans un premier temps, leurs recherches se portent sur les polyimides, une famille de polymères déjà connue pour sa thermostabilité. Un mot pas anodin dans le domaine des plastiques, car si les polymères fondent en majorité à des températures comprises entre 100 °C et 200 °C, ils commencent généralement à se dégrader en dessous de leur point de fusion. Il fallait donc trouver les polymères qui gardent intactes leurs propriétés jusqu’à ce point. Pas simple… Mais précisément il arriva aux oreilles des militaires américains que, chez DuPont de Nemours, on venait fortuitement de découvrir un nouveau matériau capable de satisfaire cette demande.
Ca glisse pour le téflon
Drôle d’histoire que celle du polytétrafluoroéthylène (PTFE), mieux connu sous son appellation commerciale de Teflon®. En 1938, Roy Plunkett, un chimiste américain travaillant pour DuPont, cherchait à mettre au point un nouveau réfrigérant. En plaçant du tétrafluoroéthylène dans de la neige carbonique, il eut la surprise de constater que le gaz, en se polymérisant, se transformait en une espèce de poudre blanche et cireuse. Intrigué, il la testa et s’aperçut que son nouveau polymère était insoluble, avait des propriétés antiadhésives surprenantes et surtout commençait à se dégrader vers 260 °C, une qualité jusqu’alors inédite pour une matière plastique ! L’armée comprit vite quel parti tirer de ce matériau. On allait le retrouver dans la première bombe atomique sous la forme d’un joint d’étanchéité capable de résister aux attaques du célèbre uranium 265.
Pour la petite histoire, le PTFE était alors un matériau si coûteux et tellement précieux que, une fois produit, il était conservé dans des coffres-forts. S’il est aujourd’hui apprécié par les particuliers pour le revêtement de leurs poêles et casseroles, le Teflon©, devenu moins onéreux, intéresse toujours l’industrie. Il entre désormais dans la composition de câbles électriques prévus pour des conditions extrêmes. L’isolant en Téflon leur permet de supporter des températures de - 90 °C à + 260 °C. On le retrouve également dans des vannes pneumatiques, car sa haute tenue en température lui permet de supporter le passage de gaz flirtant avec les 250 °C.
Un film très chaud
Assurée de trouver des débouchés pour de nouveaux polymères, l’industrie pousse ses chercheurs à aller plus loin encore. C’est son âge d’or et tous les rêves sont possibles, même ceux d’envoyer des hommes dans l’espace… Ainsi, à l’aube des seventies apparaissent les premiers polyimides (PI), des polymères particulièrement résistants mécaniquement, chimiquement mais aussi et surtout thermiquement. Une résistance telle qu’on les trouve aujourd’hui dans de très nombreux domaines. Supportant aisément la chaleur intense et les différents fluides corrosifs nécessaires au bon fonctionnement d’un moteur, ils sont parmi les rares polymères à s’imposer sous les capots des voitures. Commercialisé notamment sous forme de films par la société DuPont, le Kapton© rencontre un succès toujours croissant grâce à sa thermostabilité comprise entre - 269 °C et + 400 °C et à sa forte propension à supporter les chocs thermiques.
Il entre dans la fabrication de circuits imprimés souples ou encore dans les systèmes d’isolation des moteurs de locomotives électriques où les températures sont généralement infernales. C’est également lui qui recouvre en partie les satellites, ceux-ci devant résister à une température variant de près de 400 °C selon leur exposition au soleil.
A fond les tubes
Certains constructeurs automobiles optent pour des plastiques verts en utilisant des tubes de Rilsan HT®, le premier polyphtalamide (PPA) flexible et biosourcé qui résiste à des températures allant jusqu’à 180 °C. Développé par Arkema, le Rilsan® est composé à 70% de matière d’origine naturelle, dérivée de matières premières renouvelables issues de cultures non alimentaires. Ce PPA offre une excellente résistance à la pression, ainsi qu’une très bonne résistance chimique et thermique. Il permet par exemple de remplacer les tubes d’aluminium servant à l’admission sous pression des gaz d’échappement brûlants dans le turbocompresseur d’un moteur. Il est par ailleurs trois fois plus léger que l’aluminium.
Le show continue
Lui, c’est la star ! Et comme toutes les stars, il a un prix qui est loin d’être négligeable, et c’est bien là son gros défaut. Cette star, c’est le PolyEtherEtherKetone, autrement nommé PEEK, son acronyme. Comme les polyimides, il résiste à peu près à tout mais fait encore mieux quand les températures s’élèvent, puisqu’il conserve toutes ses propriétés jusqu’à 310 °C. C’est certes moins que le Kapton®, mais à la différence de ce dernier, le PEEK peut être moulé et donc servir à fabriquer des pièces techniques. Parfaitement stable, le PEEK est présent dans de nombreuses machines-outils destinées à l’industrie agroalimentaire ou du médicament. Il intéresse également de plus en plus l’industrie de la santé et plus particulièrement les fabricants d’outils chirurgicaux, sa résistance à la chaleur lui permettant d’être stérilisé à la vapeur de façon quasi infinie. Il remplace à merveille des métaux comme l’acier inoxydable, l’aluminium ou le titane.
L’industrie automobile reste son marché de référence, puisque environ 35% de sa production y est destinée. Il est préféré aux métaux pour sa légèreté et sa grande résistance à tous les types d’agression. Ses applications ne cessent de se multiplier : paliers, cages de roulement à billes, joints et bagues d’embrayage, buses d’injecteurs de pompes de distribution, engrenages de direction, composants de freinage ABS…
Tonnerre mécanique pour les plastiques
Fut un temps où se passer du métal dans le moteur d’une voiture était presque une chimère, une utopie… A la fin des années 1970, l’ingénieur américain Matti Holtzberg avait pourtant conçu le Polimotor, un moteur où plusieurs éléments métalliques avaient été remplacés par des plastiques. Bien que concluante sous certains aspects, l’expérience est longtemps restée sans suite. Depuis peu, le belge Solvay a décidé de relever le défi en tentant de mettre au point un moteur entièrement fabriqué à base de polymères haute performance : le Polimotor 2. Ce moteur devrait peser entre 63 et 67 kg, c'est-à-dire environ 40 kg de moins qu’un moteur standard actuel. L’industrie automobile est un secteur très friand de solutions pour remplacer les pièces en métal, en particulier dans le compartiment moteur. L’allègement reste un levier essentiel pour répondre aux exigences réglementaires toujours plus strictes en matière d'émissions de CO2.
Dans Polimotor 2, Solvay remplace jusqu'à dix composants métalliques (la pompe à eau, la pompe à huile, les entrées et sorties d’eau, le boîtier papillon, la rampe d’injection, les pignons, etc.) par des pièces fabriquées à partir de sept de ces matériaux thermoplastiques de haute performance comme le Torlon® polyamide-imide (PAI), le polyphthalamide Amodel® (PPA), le polyétheréthercétone KetaSpire® (PEEK), le polyaryléthercétone AvaSpire® (PAEK), le polyphénylsulfone Radel® (PPSU), le sulfure de polyphénylène Ryton® (PPS) et les fluoroélastomères Tecnoflon® VPL. Ce nouveau moteur devrait être prochainement testé en compétition lors d’une course aux Etats-Unis. L’enjeu est de taille, car si succès il y a, c’est toute l’industrie automobile mondiale qui devra revoir sa copie…
Les polymères s'envoient en l'air
Les polymères sont utilisés depuis maintenant bien longtemps dans l’industrie aéronautique. La raison en est évidente : plus légers que le métal, ils permettent un gain de poids et donc des économies d’énergie. Ils sont cependant encore assez rares dans la motorisation et plus encore dans les réacteurs d’avions supersoniques où les températures du frottement de l’air dépassent souvent les 250 °C. Les plastiques ont longtemps eu du mal à trouver leur place et à concurrencer les métaux et autres céramiques. Cependant, utilisés sous la forme de composites, on trouve désormais des polymères sur les entrées d’air des réacteurs des avions de ligne, où les pièces composites sont réalisées à base de résine bismaléimide, un polymère dérivé des polyimides.