« Les polymères restent des matériaux d’avenir pour notre industrie. »
Il y a une dizaine d’années, vous vous exprimiez déjà dans nos colonnes en évoquant le rôle déterminant des polymères pour la construction automobile. Depuis, y a-t-il eu des évolutions notables dans ce domaine ?
Avant tout, il est nécessaire de bien comprendre combien la vision que l’on a de l’automobile a changé ces dix dernières années. Aujourd’hui, tous les constructeurs cherchent à développer des véhicules de plus en plus connectés et à électrifier l’ensemble de leurs gammes. Ce sont donc de nouvelles technologies qu’il nous faut inventer, maîtriser, fiabiliser et, concernant l’électrification, mettre en œuvre pour gagner encore en efficience. Naturellement les polymères sont plus que jamais indispensables ! Cependant, il y a encore certains domaines où ils ont du mal à trouver leur place, comme dans les moteurs thermiques et, dans une certaine mesure, électriques, où la chaleur est telle que les métaux restent pour le moment à privilégier. Il existe bien évidemment des polymères hautes performances comme le PEEK* mais leur valeur ajoutée est encore trop faible au regard de leurs coûts. C’est principalement pour la même raison que l’on n’utilise pas de composites carbone/résine dans les éléments structurels de carrosserie alors que techniquement rien ne s’y opposerait.
*Polyétheréthercétone, un polymère résistant à de très hautes températures.
Vous mentionnez la voiture connectée mais, sauf erreur, les avancées sont surtout électroniques donc bien éloignées du monde des polymères…
Effectivement, l’électronique est indispensable au développement de la voiture autonome, mais c’est une erreur de penser que les polymères n’y ont pas leur place et ce, pour différentes raisons. La voiture autonome n’a rien de magique, elle s’appuie sur de nombreuses technologies qui reposent la plupart du temps sur l’émission d’ondes diverses. Or, pour fonctionner efficacement, ces ondes doivent pouvoir se propager sans rencontrer d’obstacle. Il s’avère que les plastiques sont déterminants pour leur éviter d’être perturbés par un objet qui fait barrière ; ce que nous appelons l’effet fantôme. De plus, les canons esthétiques évoluent et nos clients ne veulent plus voir les capteurs, qu’ils trouvent disgracieux. Nous devons donc trouver des solutions pour les dissimuler en garnissant d’une peau les boucliers, par exemple. Il va de soi que le métal n’est pas une solution pour d’évidentes raisons liées notamment à l’effet cage de Faraday. C’est donc vers les polymères que nous nous tournons une fois de plus car eux seuls permettent au radar de s’affranchir de cet effet écran.
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Les véhicules actuels sont tellement sophistiqués que nous pourrions être tentés de transformer leur poste de conduite en cockpit d’Airbus. Ce n’est évidemment pas ce que nous voulons par souci d’ergonomie et de sécurité. Le « tout tablette », s’il est assez simple à mettre en œuvre, n’est pas non plus la panacée pour les mêmes raisons. Il nous faut donc trouver de nouvelles solutions, et c’est vers la plastronique que nous nous orientons. Cette technique permet d’intégrer, dès la phase de conception, des circuits électroniques dans des pièces de plastiques moulées.
L’un des exemples les plus emblématiques reste le volant, qui est souvent équipé de plusieurs boutons et d’un airbag… A ce propos, mais ce n’est pas nouveau, nous sommes sans cesse à la recherche de polymères qui soient agréables au toucher et à l’œil pour la fabrication des boutons et autres commandes. Mais le design n’est pas le seul élément qui entre en ligne de compte, car ces boutons doivent être également solides et aisément « actionnables » tout en faisant un doux bruit à l’oreille.
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Enfin, j’aimerais aussi aborder le phénomène en croissance du car sharing (automobile à partager) qui tient une place importante dans notre façon d’appréhender les véhicules du futur et plus particulièrement les matériaux qui les équiperont. En effet, ces véhicules seront certainement soumis à rude épreuve et nous nous penchons vers les polymères pour trouver des matériaux résistants, peu salissants, facilement lavables mais également agréables d’un point de vue sensitif. Je ne peux en dire plus pour le moment, mais c’est l’un de nos axes de recherches déterminants.
Le programme est donc bien chargé pour les polymères… Certaines revues spécialisées évoquent souvent les polymères électroactifs. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?
En résumé, ce sont des polymères qui sont capables de changer de formes lorsqu’ils sont soumis à un stimulus le plus souvent électrique. On parle parfois de piézoélectricité. Sans rentrer dans les détails, différentes familles de polymères peuvent entrer dans cette catégorie : les polymères électroactifs ioniques, les polymères cristallins liquides, les polymères ferroélectriques comme le polyvinylidène fluoride (PVDF), etc. Grâce à ces derniers, nous cherchons à révolutionner les systèmes d’enceintes acoustiques des véhicules en nous affranchissant des traditionnels haut-parleurs. L’idée n’est pas seulement d’en améliorer la qualité sonore mais de les alléger. Il faut en effet savoir que, dans un véhicule haut de gamme, ces derniers peuvent peser plusieurs dizaines de kilos.
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Nous cherchons donc à faire de ces polymères des surfaces vibrantes pour garnir des tableaux de bord ou des appui-tête par exemple. Pour ce faire, nous nous inspirons des instruments de musique à cordes dont la caisse en bois vibre et fait caisse de résonance. Cette technologie est très prometteuse, car chaque siège pourrait être indépendant, ce qui permettrait à chaque occupant du véhicule d’écouter ce que bon lui semble. Ce serait également une façon d’améliorer l’insonorisation des véhicules électriques. |
Pour quelle raison, puisque les véhicules électriques sont notamment salués pour leur silence ?
C’est vrai, les moteurs sont silencieux mais, de ce fait, tous les bruits de roulement liés au contact des roues au sol, voire ceux générés par le frottement de l’air, semblent amplifiés pour les occupants du véhicule. Il nous faut donc travailler sur de nouveaux types de mousses, souvent à base de polyuréthane, et sur les fréquences sonores de ces bruits pour trouver le matériau qui sera capable d’isoler l’habitacle. Une chance, ces mousses sont légères et relativement simples à insérer entre deux pièces ou panneaux. Encore faut-il trouver la bonne composition et la bonne densité…
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A propos des véhicules électriques, la recherche permanente sur les batteries permet-elle l’émergence de nouveaux polymères ?
Ma réponse ne sera pas tranchée. Le poids des véhicules électriques est déterminant, car plus on pourra gagner en masse, plus on pourra augmenter l’autonomie des véhicules. Concernant l’ensemble des éléments hors batteries, nous nous servons toujours des mêmes matériaux : polyamide, polypropylène, ABS, polyuréthane et polyéthylène ou polycarbonate. En supprimant les réservoirs de carburant, nous utilisons certainement moins de PEHD, puisque ce polyéthylène entre dans leur composition, mais davantage de polyamide pour les pièces chaudes comme celles que l’on peut trouver dans la Zoé, notre premier véhicule 100% électrique. Mais franchement, c’est presque anecdotique.
Il y a ensuite les batteries. Une batterie, c’est majoritairement des métaux, des terres rares ainsi que des isolants. Les plastiques, par nature, sont d’excellents isolants, raison pour laquelle on les trouve en grand nombre dans les batteries. Parmi eux, les papiers polymères deviennent incontournables. On les appelle « papier » car ils ressemblent à des plaques de carton, mais ce sont en réalité des fibres aramides.
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Outre leurs très bonnes capacités à isoler le courant électrique, ils sont très stables thermiquement (de -200 °C à +300 °C), se tiennent très bien mécaniquement et résistent aux flammes. De plus, ils peuvent se teindre facilement, non pas à des fins esthétiques mais pour indiquer par un code couleur, en l’occurrence ici l’orange, qu’il y a un danger de haute tension. C’est très pratique pour ceux qui sont amenés à entretenir ces véhicules. |
Enfin, d’autres polymères, dont je tairai le nom par soucis de confidentialité, permettent d’améliorer ou de réduire la conductivité électrique. Certains jouent également un rôle pour faire baisser la température d’un moteur, ce qui nous autorise à diminuer la taille des radiateurs et donc à perdre du poids.
Quid de la pile à combustible ?
Bien entendu, nous l’avons également étudiée et nous proposons à ce jour des véhicules utilitaires exploitant cette technologie. Cependant son rendement est à améliorer par rapport à une batterie traditionnelle. La pile à combustible dégage énormément de chaleur, et c’est autant d’énergie perdue puisque son rendement n’est que de 30% contre 96% pour une batterie polymère.
Ceci dit, que ce soit la pile à combustible, les batteries traditionnelles ou encore l’hybridation, toutes ces technologies sont émergentes, et les grands constructeurs, comme nous, les scrutent avec minutie car nous cherchons tous à apporter la meilleure solution à l’équation efficience, autonomie, taux de CO2. Ce n’est qu’une question d’années…
Le recyclage est-il également un sujet d’actualité pour RENAULT ?
Bien entendu et pas seulement parce que la législation européenne nous impose de recycler 85% de nos véhicules (cette même législation impose également un taux cumulé de recyclage et de valorisation de 95%). Nous cherchons à rendre nos véhicules le plus neutre possible. Pour ce faire, nous estimons que l’abaissement du taux de CO2, s’il est évidemment très important, n’est pas l’unique levier que nous devons actionner. Quand on parle de la qualité de l’environnement, il faut également évoquer les particules liées à l’usure des pneus, des freins, à l’ensemble des émissions polluantes ou encore à la qualité de l’air à l’intérieur des véhicules.
Pour en revenir au recyclage, nous progressons année après année. Aujourd’hui, nous cherchons avant tout à recycler nos propres matériaux pour les réintroduire dans nos propres véhicules. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons signé une importante joint-venture avec la firme TOTAL-SYNOVA.
J’aimerais tout de même rappeler que le recyclage dans l’automobile n’est pas franchement nouveau. Depuis plusieurs années, de nombreux carters sont issus de plastiques recyclés. La vraie nouveauté repose sur le fait que nous introduisons désormais des polymères recyclés dans des pièces qui sont visibles et non plus cachées. Nous avons commencé timidement avec des bas de porte, puis sommes allés plus loin en concevant un tissu de siège issu de chutes de textiles en provenance du secteur automobile, de ceintures de sécurité et de bouteilles. Chose que nous avions déjà faite pour les tapis de sol.
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Notre volonté est d’appliquer la même méthode pour d’autres pièces sans pour autant que ce soit perçu comme une matière au rabais. Ce que nous avons réussi dans le siège de la Zoé, nous comptons le reproduire ailleurs, y compris pour nos modèles haut de gamme. Ainsi, même si c’est encore trop tôt pour en dévoiler tous les détails, nous testons tous les jours de nouvelles textures orientées luxe. Le jour venu, nous communiquerons largement sur ces sujets, car nous savons que c’est également ce qu’attendent les utilisateurs de nos véhicules.
De nombreuses équations restent à résoudre, mais nous nous approchons rapidement du but. Bien malin qui peut prédire ce que sera la voiture de demain, mais une chose est certaine, elle ne pourra que s’inscrire dans un écosystème qui tienne compte de son impact environnemental, de son autonomie et de sa puissance. C’est certes ambitieux, mais aussi passionnant car il reste encore beaucoup de choses à inventer.