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Travailler ensemble pour mettre fin à la pollution des déchets
Rencontre avec Philippe Montagné, directeur régional projets EMEA (Europe, Afrique et Moyen-Orient) de l’AEPW.
Travailler ensemble pour mettre fin à la pollution des déchets
Travailler ensemble pour mettre fin à la pollution des déchets

L'AEPW sur le terrain

L’Alliance to End Plastic Waste (AEPW) a été conçue pour développer et déployer des solutions contre la pollution des déchets plastique. Partant du principe qu’aucun acteur ne peut lutter seul, son credo est de trouver des partenariats avec toutes les parties prenantes.
Gros plan sur l'Afrique du Sud, un pays représentatif des actions menées par l'AEPW et sur quelques solutions testées dans des pays développés.

En quoi l’action que vous menez en l’Afrique du Sud est-elle si emblématique ?

Je suis content d’évoquer ce pays, car nous estimons que ce que nous avons réussi à mettre en place en 3 ans est devenu un exemple que nous espérons décliner dans d’autres pays. Pour comprendre, il faut avant tout savoir que bien qu’ayant atteint un bon niveau de maturité, l’Afrique du Sud a une population encore très morcelée, et ce malgré la fin de l’apartheid il y à 20 ans…

 

Centre de Tri (Power Rush) à Durban en Afrique du Sud.

Il existe encore une large part de la population qui vit au pire dans des bidonvilles au mieux dans des townships, quartiers où les constructions sont tout de même en dur mais où le niveau de salubrité publique est tout juste acceptable. Ces quartiers sont organisés et disposent de quelques services publics comme des écoles. C’est un point important ! Mais bien souvent, la collecte des déchets fonctionne en mode dégradé (une collecte par semaine, tri non sélectif).

 

 L’Afrique du Sud est un pays qui commence à mettre en place une gestion des déchets digne de ce nom. Elle est maintenant dans le peloton de tête des pays africains pour son taux de recyclage. Par exemple, il existe un système REP (Responsabilité élargie au producteur). Depuis longtemps, à l’instar d’autres pays dits en voie de développement, un véritable commerce du déchet s’est organisé de manière informelle. C’est une chaîne comprenant des collecteurs (waste pickers) qui ramassent les déchets comme les emballages en plastique, en métal, voire en verre et les revendent à des agrégateurs, qui eux-mêmes les revendent à des recycleurs. Ils seront dans la plupart des cas lavés, broyés en granulés et remis sur le marché pour être transformés en de nouveaux objets en plastique. Ces collecteurs de déchets informels font partie d’une population vulnérable, exploitée, bien souvent féminine, et se chiffrent en centaines de milliers à travers le monde. Certains pays comme l’Afrique du Sud s’attachent à intégrer cette population de l’ombre dans ses effectifs de gestion des déchets municipaux. L’Alliance, de par ses projets, est devenue un catalyseur d’intégration du secteur informel.

Concrètement, quelles actions avez-vous menées dans ce pays ?

L’Afrique du Sud est un des pays dans lesquels nous menons les trois types de projets évoqués plus haut, dans les trois villes principales du pays.

Par exemple, dans plusieurs townships de Durban, nous avons réussi à organiser un système de collecte et de tri des déchets recyclables en utilisant une dizaine d’installations cédées par la municipalité, installations que nous avons rénovées et équipées, avec la South African Healthcare Foundation (SAHF), une ONG locale. Ce programme, qui s’étend sur une durée de 4 ans, ambitionne de collecter et de trier plus de 20 000 tonnes de déchets plastique par an.

 

 

Centre de tri (Big Start) à Durban, Afrique du Sud.

Un an et demi après son lancement, nous avons déjà atteint 15 000 tonnes/an ce qui en fait le premier projet de l’Alliance en termes de tonnage.

Pour encourager la collecte, nous déployons également des centres de rachat des matières recyclables (appelés « buy back centers ») dans différents points du territoire. L’impact social est énorme : plusieurs milliers de waste pickers sont maintenant associés à ce projet. Des programmes éducatifs ont été mis en place en parallèle dans plus de 50 écoles. Ils visent à apprendre à identifier et à trier les déchets plastique, et à encourager les élèves à les collecter à la maison. Et ça marche : plus de 80 tonnes/mois de déchets plastique sont ainsi apportées à l’école chaque mois. Le succès de ce projet est tel que la ville de Durban nous a demandé de l’étendre sur l’ensemble de l’agglomération. 

 

Élèves de classe primaire expliquant le tri sélectif à la maison Durban, Afrique du Sud

A Johannesburg, depuis 2018, les collecteurs informels (informal waste pickers) se sont organisés et ont créé une sorte de syndicat professionnel nommé ARO (African Reclaimer Organization). L’Alliance a aidé cette organisation à devenir crédible aux yeux de la municipalité en finançant leur entrepôt principal. Les employés viennent y trier les recyclables collectés la nuit dans les quartiers résidentiels de Johannesburg. Les plastiques ne sont pas les seuls matériaux concernés, puisque sont également triés le verre, les métaux et les cartons, tout ce qui a une valeur marchande. Ils sont ensuite revendus à des recycleurs. Parallèlement à l’amélioration de l’outil de travail d’ARO, l’action de l’Alliance permet d’intégrer cette force vive de l’ombre dans la société civile sud-africaine. Les pickers se voient attribuer un numéro de Sécurité sociale, une carte d’identité et une rémunération minimale. J’ajoute que nous sommes également maintenant soutenus par le ministère de l’Environnement et la municipalité de Johannesburg, qui reconnaissent pleinement le professionnalisme d’ARO. Cette organisation est en passe de devenir la principale structure de collecte des matières recyclables des ménages. C’est pourquoi nous engageons notre collaboration avec cet organisme sur une longue période avec la mise en place d’un projet plus large qui vise à récupérer 30 % des déchets recyclables de Johannesburg en nous appuyant sur 6 000 pickers qui travaillent désormais dans des conditions nettement plus acceptables.

 

Atelier de tri ARO à Johannesburg, Afrique du Sud

Pour finir, il me faut parler de Cape Town, et plus particulièrement de CRDC, une entreprise locale qui a développé un savoir-faire dans la transformation des déchets d’emballages non recyclables comme les films multicouches (paquet de chips) en additif du béton. Modifier la formulation du béton en replaçant quelques pourcents de sable par cet additif rend le béton plus léger. Les applications visées vont du moellon aux dalles de trottoirs par exemple.

Il est intéressant de noter que ce développement a été initié au Costa Rica puis s’est étendu aux Etats-Unis, à l’Australie et maintenant à l’Afrique du Sud. Comme quoi, le recyclage des déchets plastique peut être facteur d’innovation et source d’économie de matières premières comme le sable.

Publicité pour Resin8 fabriquée à partir de déchets plastique non recyclables.

Finalement, vous avez également un rôle social voire sociétal ?

Oui, et c’est également une mission indirecte de l’Alliance. En fait dès que l’on s’attaque au problème des déchets dans les pays en voie de développement, on touche à l’humain et aux classes les plus défavorisées de la société. L’exemple de l’Afrique du Sud est un cas d’école que nous souhaitons reproduire. Grâce à l’action de nos partenaires sur le terrain, les pickers illégaux et les métiers de la collecte et du tri sont peu à peu reconnus et récompensés : attribution d’une carte d’identité, d’une assistance médicale primaire, voire d’un salaire minimum… Ce sont des centaines de personnes qui sortent ainsi de la misère cachée. Au Ghana ou en Côte d’Ivoire, le métier de waste picker est souvent exercé par les femmes, ce qui les aide à trouver une place dans une société très patriarcale. Nous travaillons également énormément avec les écoles primaires et secondaires où, avec les enseignants, nous éduquons les jeunes enfants à l’importance de la gestion des déchets. Des bacs de collecte ont été installés sur les chemins de l’école, et chaque matin, les jeunes écoliers y déposent les déchets recyclables du foyer. Et cela prend, car ce sont désormais les plus jeunes qui se font relais d’opinions auprès de leur famille.

Vous déclarez intervenir dans le monde entier… Vos actions concernent donc également les pays développés ?

Oui, mais nous sommes tout de même essentiellement présents dans les pays émergents qui représentent 80% de notre budget. Les pays développés (Europe, Amérique du Nord, Japon, Corée du Sud…) ont déjà mis en place des organisations efficaces.

 

HolyGrail – code filigrane non visible.

Dans ces pays, nous nous intéresserons de très près aux nouvelles technologies et essayons de valider des solutions qui n’existent pas encore. L’une des dernières en date se nomme HolyGrail 2.0. Elle consiste à imprimer une multitude de codes imperceptibles sous la forme de filigranes numériques de la taille d’un timbre-poste sur l’ensemble de la surface d’un emballage.

 

L’objectif est que, une fois l’emballage entré dans une installation de tri des déchets, le filigrane numérique puisse être détecté et décodé par des caméras haute résolution sur la ligne de tri. En fonction des informations (emballage alimentaire ou non alimentaire, nature du polymère, etc.), la caméra est capable de diriger avec précision les emballages dans les flux correspondants. Le taux de recyclabilité des emballages devrait ainsi considérablement augmenter, notamment en Europe où les directives prévoient que, dès 2030, 100% des emballages en plastique devront être réutilisables, facilement recyclables ou compostables. Holy Grail 2.0 est maintenant dans la phase finale des essais de R&D en Europe et les résultats sont assez concluants. P&G, une grande marque qui fait partie de l’Alliance, nous a rejoint dans ce projet et son implication est réelle.

J’aimerais également évoquer une étude de faisabilité en cours que nous menons avec le cabinet de consulting Roland Berger. Elle porte sur les déchets en plastique flexible (sacs plastique) et leur recyclabilité à grande échelle (unité de 50 000 tonnes/an) en sacs plastique alimentaires. La solution technologique existe. Est-elle économiquement viable ? C’est l’enjeu de notre étude.

Citons un dernier exemple, celui de la Belgique où nous travaillons avec la startup Rematics. Cette dernière met l’intelligence artificielle au service de la collecte des déchets en équipant les camions benne de capteurs intelligents capables de reconnaître la nature des produits collectés en quelques secondes. Ainsi, le consommateur qui a mal trié peut être immédiatement averti par mail ou sms afin d’effectuer un tri sélectif correct les fois suivantes.

 

Système intelligent de reconnaissance de déchets REMATICS.

Toutes ces initiatives sont encore en phases de tests plus ou moins avancés, mais elles montrent que la prise de conscience est globale et que même les pays dévelopés ont encore un espace de progrès significatif.

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