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Les plastiques se jettent à l’eau
Les relations entre les plastiques et les milieux aquatiques ne sont pas toujours celles que l’on s’imagine… Elles sont parfois essentielles pour rendre l’eau impure, voire salée, propre à la consommation. Plus que jamais, les polymères sont prêts à relever le défi du siècle : rendre l’eau potable accessible à tous.
Les plastiques se jettent à l’eau
Les plastiques se jettent à l’eau

Les polymères mettent leur grain de sel

Les océans pourraient constituer une formidable réserve d’eau. Seule condition, rendre l’eau de mer potable par des techniques simples, peu onéreuses et surtout non énergivores. Si différentes solutions existent, celle du traitement par osmose inverse est l’une des plus prometteuses, à condition de la rendre moins « vorace » en énergie

Eau de mer et polymères en parfaite osmose
 

L’osmose est un principe physique qui montre que deux liquides de concentration différente finissent par s’équilibrer lorsqu’ils sont séparés par une membrane poreuse. Plus simplement dit, si deux eaux, l’une salée et l’autre douce, sont placées dans deux tubes séparés par une membrane, au bout d’un certain temps la concentration de sel deviendra équivalente dans les deux parties du récipient. La découverte de ce processus a d’ailleurs valu à Jacobus Henricus van’t Hoff, un scientifique néerlandais, le prix Nobel de chimie en 1901. On parle d’osmose inverse quand on force, par forte pression, ce procédé à s’inverser en ne laissant passer que les molécules d’eau par la membrane.
 

Partant de ce principe, de nombreux osmoseurs sont présents sur le marché, certains sont même assez puissants pour intéresser l’industrie horticole, comme au Kenya où les champs de tulipes sont irrigués par de l’eau de mer désalinisée par osmose inverse. En général, un osmoseur classique se compose au minimum de deux filtres, le premier est souvent métallique (un alliage de zinc et de cuivre) et retient les très grosses particules comme le sable et les sédiments calcaires.

 

Installée de façon industrielle, une batterie de membranes polymères permet de désaliniser plusieurs milliers de litres d’eau par jour par la technique dite de l’osmose inverse.

Il a également pour mission de protéger la membrane polymère en polypropylène ou en polyamide qui constitue le second filtre. Si l’efficacité est réelle, l’efficience l’est moins. En effet, pour fonctionner, un osmoseur de ce type consomme énormément d’énergie pour un rendement tout juste satisfaisant de l’ordre de 50%.

Les plastiques se font une place au soleil

Sans l’évolution des polymères et l’utilisation de plus en plus fréquente de l’énergie solaire pour produire l’électricité nécessaire au fonctionnement des osmoseurs, cette technologie aurait été très certainement montrée du doigt pour son rendement insuffisant. Ainsi, dans l’industrie, le polypropylène et le polyamide ont laissé la place aux membranes en polysulfone, un polymère ayant une bonne tenue sur une large plage de températures et surtout très résistant aux agressions chimiques. L’utilisation de ce seul polymère a permis d’augmenter considérablement les rendements. En effet, ses capacités physiques autorisent un meilleur flux pour un filtrage au moins aussi efficace que les modèles en polyamide. Résultat, il faut trois fois moins d’énergie pour filtrer une même quantité d’eau de mer. Et lorsque, comme dans certaines régions du Kenya, on dispose de centrales électriques solaires, irriguer des champs de tulipes n’est plus un problème.

Qui va nano va piano

Si la technologie d’osmose inverse est bien maîtrisée, la recherche se porte désormais quasiment exclusivement sur les membranes en vue d’améliorer encore leur rendement. Deux pistes de recherche sont explorées, et dans les deux cas, c’est de nanotechnologie dont il est question.
Aussi, certains chercheurs se penchent sur les pores des membranes en visant à diminuer encore leur taille tout en augmentant leur nombre. Encore au stade de start-up, l’américain NanoH2O fut l’un des pionniers, au début des années 2010, à trouver une nouvelle technologie en bombardant une membrane polymère, le plus souvent en polysulfone, de nanoparticules de zéolithe, un minéral poreux qui se gonfle sous l’effet de la chaleur et qui est particulièrement hydrophile. L’efficacité repose donc sur la taille des pores, eux-mêmes très proches de la taille d’une molécule d’eau (autour du nanomètre). En effet, il a été constaté que lorsque la taille des pores de la membrane est équivalente à celle des molécules d’eau, ces dernières se connectent les unes aux autres en formant une sorte de file, ce qui permet d’accélérer le mouvement de l’eau au travers du tamis. Depuis, la petite start-up a été valorisée de quelques dizaines de milliards par des prises de participation, notamment de grands groupes industriels internationaux… et l’on estime que plus de 300 millions de litres d’eau douce sont produits quotidiennement dans le monde grâce à ces nouvelles membranes.
Très en pointe dans ce domaine, le précédent gouvernement des Etats-Unis avait décidé de financer les axes de recherche qu’il jugeait les plus prometteurs. C’est ainsi que Lockheed Martin est parvenu à développer de nouvelles membranes en graphène qui, à l’instar du polysulfone, ont des trous d’1 nanomètre (un milliardième de mètre) de diamètre capables de laisser passer l’eau en bloquant le sel. Seule différence, avec ces filtres, le dessalement peut être opéré avec une pression deux fois moindre que celle utilisée traditionnellement, ce qui permettrait une diminution des coûts énergétiques de 15 à 20%. Le graphène, ou plutôt l’oxyde de graphène, apparaît aujourd’hui comme le matériau idéal pour filtrer de l’eau de mer. Seul hic, ce matériau a tendance à gonfler au contact de l’eau et donc à diminuer la taille des pores au point de retenir les molécules d’eau. Afin de résoudre ce sérieux problème, les scientifiques ont enduit de résine époxy chaque côté de la membrane pour bloquer le gonflement, et donc permettre à l’eau de s’écouler rapidement.

 

Grâce à la zéolithe, un minéral poreux, les pores des membranes polymères sont de l’ordre du micron et laissent ainsi s’écouler plus rapidement l’eau. C’est une autre façon d’économiser de l’énergie…

 

Bain de soleil pour les polymères


Si la plupart des chercheurs tentent de trouver la membrane révolutionnaire, d’autres préfèrent s’intéresser à l’énergie qu’il faut développer pour alimenter un osmoseur inversé. C’est le cas d’une start-up française qui a longuement fait parler d’elle lors des deux dernières COP (Conferences of the Parties). Il faut en effet savoir qu’à l’échelle mondiale, l’ensemble des usines de dessalement émettent 80 millions de tonnes de CO2 par an et que, chaque année, ces émissions augmentent de 10%. L’utilisation d’une énergie douce comme le solaire ou l’éolien est déjà en place dans certaines régions, mais elle nécessite une importante capacité de stockage de l’électricité par batteries, une solution très onéreuse et pas forcément écologique…
Mascara, la start-up en question, semble bien avoir trouvé le remède en mettant au point une centrale qui fonctionne à l’énergie solaire de façon autonome, c’est-à-dire sans batteries. Ainsi, lorsque ses 180m2 de cellules photovoltaïques polymères, captent les rayons solaires, l’unité de dessalement marche à plein régime. A la moindre occultation du soleil, la machine ralentit, voire s’arrête. Une modulation qui permet à l’appareil d’avoir une consommation très faible en énergie, de l’ordre de 2,5Kwh par mètre cube d’eau produite contre 7Kwh pour un osmoseur à moteur thermique. Mais pour en arriver là, les concepteurs ont dû repenser le système par osmose inverse qui, jusqu’alors, avait besoin d’une pression constante pour désaliniser l’eau de mer. Le secret, rendre le débit de l’eau passant dans les membranes polymères proportionnel à la pression. Voilà pour le principe général. Difficile d’en savoir plus, car celui-ci fait l’objet d’un brevet bien gardé. La toute première centrale de ce type a été installée à Abu Dhabi en deux semaines seulement. Cette simplicité de montage est également un réel atout et peut être une solution pour alimenter en eau douce les 3,9 milliards de personnes qui subiront le stress hydrique d’ici 2040 selon l’OCDE. Soit plus de la moitié de l’humanité !

 

Une start-up française a réussi à mettre au point un centre de désalinisation alimenté par énergie solaire. Plein de promesse ! Une usine test a dernièrement été installée à Abu Dhabi.

   

 

 

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