Paroles d'expert 4 min

« Pasta : de l’électronique tissée pour rendre le textile intelligent »

Rencontre avec Johan De Baets, coordinateur du projet Pasta au Centre for Microsystems Technology (CMP) de l’université de Gand en Belgique en association avec l’Imec Laboratory.
« Pasta : de l’électronique tissée pour rendre le textile intelligent »
« Pasta : de l’électronique tissée pour rendre le textile intelligent »

Pasta est un nom curieux pour un projet scientifique portant sur l’intégration d’électronique dans du tissu. Est-ce un acronyme ou un jeu de mots ?

Je le concède, le nom est amusant et a le mérite de retenir l’attention mais c’est avant tout l’acronyme de Platform for Advanced Smart Textile Applications. Il s’agit d’un projet européen qui entre dans le cadre du septième programme de recherche et de développement technologique de la Commission européenne. Nous avons donc bénéficié de financements européens. Mais ce n’est pas là le plus important… Pasta avait pour objectif de trouver les moyens de faciliter l’intégration d’électronique dans les textiles. Au départ notre objectif était de trouver une passerelle entre le monde de l’électronique et celui du textile et de les faire évoluer. Nous avons donc cherché à trouver des solutions qui rendent compatibles la souplesse du textile et la rigidité des composants électroniques.

Pour avoir mis en place un tel projet ?

En 2012, lors du lancement du projet, nous étions nombreux à constater l’essor de la plastronique. Et pour cause, l’électronique est incontournable et désormais nécessaire au fonctionnement de nombreux objets. Jusqu’à l’apparition de la plastronique, les systèmes électroniques étaient insérés dans un boîtier distinct qu’il était souvent difficile d’intégrer à l’objet en question sans en sacrifier le design. Avec cette nouvelle technologie, les parties électroniques s’adaptent aux objets ; c’est souvent un gain de place et un gain de poids. Cependant, aussi prometteuse soit-elle, la plastronique est plus particulièrement adaptée aux zones dont la surface est réduite pour une raison évidente d’efficience du moulage. Or, pour de nombreuses applications, il est indispensable de disposer d’un circuit électronique distribué sur une large surface.

 

Imaginons un mur qu’il suffirait d’effleurer n’importe où pour le voir s’illuminer, un peu comme un écran tactile. Il est simple de comprendre que, pour fonctionner, celui-ci doit disposer d’un réseau de fils conducteurs assez conséquent. Nous pensions alors qu’un textile pourrait parfaitement remplir cette fonction à la condition d’incorporer des fils conducteurs d’électricité et des composants électroniques dès le tissage. Ce n’est pas si simple, notamment à cause de la rigidité des pièces électroniques. Pour faire aboutir notre projet, il nous fallait trouver le moyen de rendre étirables des composants électroniques.

Pourquoi avoir choisi le textile et sur quel type de fibres vous êtes-vous arrêtés ?

Le textile a toutes les qualités requises, il peut être fabriqué en grande quantité et dans de grandes dimensions pour un coût très raisonnable. De plus, il est léger, flexible, étirable et, le cas échéant, confortable à porter. Restait à trouver la bonne fibre. Notre choix s’est porté sur les polyamides – et pas uniquement parce qu’ils sont bon marché. En effet, nous cherchions un matériau qui puisse être lavé à sec pour ne pas dégrader les parties électroniques, ce qui est leur cas… De plus, les fibres sont transparentes et nous trouvions sympathique de travailler sur des applications quasi invisibles avant d’être mises sous tension.

 

Quelles ont été vos premières pistes ?

Elles ont été nombreuses… Cependant, avant de défricher une piste, nous nous demandions toujours quelles pourraient en être les applications. L’idée n’était pas de faire de la recherche simplement pour le bonheur de chercher mais plutôt d’inventer une nouvelle technologie qui puisse être industrialisable et donc commercialisable. Ainsi, et pour être concret, nous avons cherché à incorporer des LED dans du tissu par une technique de tissage ou de broderie, ou encore des puces RFID et des cartes électroniques par microsertissage.

 

Y êtes-vous parvenu ?

Nos objectifs ont été atteints en grande partie, même s’il reste encore des progrès à faire. Par exemple, malgré toute la souplesse du plastique qui entre dans sa composition, nous ne sommes pas parvenus à étirer une guirlande de LED au point de la rendre aussi fine qu’un fil électrique pour l’électronique. En revanche, nous avons tout de même réussi à l’étirer suffisamment pour l’intégrer, dans une machine à coudre, légèrement modifiée en vue de la broder sur du polyamide. Autre succès, nous avons trouvé le moyen d’ajouter une trame lors du tissage du textile pour lui adjoindre directement un fil conducteur. Le microsertissage est également assez bien maîtrisé, mais certains composants électroniques, même s’ils sont à des échelles millimétriques, restent encore trop grands pour gagner en flexibilité.

 

Evoquez-vous déjà des applications concrètes ?

Oui, heureusement ! Le principe des LED tissées pourrait donner lieu à une multitude d’applications,  par exemple des vêtements ornés d’un logo lumineux… Il y a un marché pour ça, c’est certain ! Plus sérieusement, le fait de tisser des LED intéressera certainement les professionnels de l’événementiel qui pourraient se servir de ce procédé pour fabriquer leurs panneaux signalétiques. Ces derniers seraient pérennes, légers et très facilement stockables puisque pliables comme un drap ou une serviette, selon le format. Les sportifs pourraient également y trouver un grand intérêt. On peut tout à fait imaginer relier les LED à des capteurs corporels. La couleur de la lumière indiquerait alors si le coureur est en hypoxie, par exemple.

 

Le monde médical pourrait également y trouver des applications très tangibles. Des fabricants de matelas ou d’alèzes auraient ainsi la possibilité d’intégrer, dans le tissu de garnissage, des capteurs d’urine. Cela peut paraître risible mais, loin d’être un gadget, ce nouveau dispositif serait d’un grand bénéfice dans les maisons de retraite médicalisées. Nous avons également pensé aux fabricants de prothèses. Il est très difficile de fabriquer une prothèse sur mesure puisqu’il faut tenir compte du volume précis du moignon et de la pression qu’il applique sur la prothèse. Ici aussi, grâce à l’incorporation de capteurs dans le tissu de garnissage, l’information serait instantanée et pourrait même être stockée dans une puce RFID.

 

Quand pensez-vous voir se généraliser ce nouveau tissu intelligent ?

Il faudra encore patienter. Si les prototypes sont très convaincants, il y a encore un grand fossé à franchir avant d’envisager une production en série. En premier lieu, il s’agit de savoir si le produit est viable, s’il y a un marché réel, etc. Sur ce point, nous sommes tous convaincus ! Ensuite, il reste encore quelques domaines d’amélioration, notamment la question du lavage – il est en effet inenvisageable de demander à un large public de nettoyer à sec ses tee-shirts. J’imagine donc que ce textile intelligent verra le jour prochainement mais il sera relativement cher à produire. C’est la raison pour laquelle il entrera d’abord dans la fabrication de produits plutôt haut de gamme, où la recherche porte avant tout sur un niveau de service ou de confort qui ne se préoccupe pas exclusivement du coût.

Ce sera le cas des vêtements pour les sportifs de haut niveau ou encore dans le domaine du luxe mais aussi de la santé. Et si le marché se développe, les volumes seront de plus en plus conséquents et ainsi les prix baisseront. Patience donc…

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